La littérature francophone sur les industries de défense dans le monde est assez rare et réservée à quelques cercles restreints d’experts. D’où l’intérêt de cet ouvrage – au format court avec 120 pages – écrit par Fanny Coulomb, maître de conférences à Sciences Po Grenoble et membre du Conseil scientifique de l’Irsem.
Avec une écriture dense et précise, l’auteure propose une synthèse judicieuse sur un sujet complexe et mal aimé, souvent pour des raisons idéologiques dans la mesure où la défense est étroitement liée à l’histoire de la guerre, aux affrontements entre États et donc à la violence. De plus, malgré la fin de la guerre froide, l’instabilité croissante du monde et le retour aux rapports de puissance poussent au réarmement et donc à une redéfinition de la production de défense entre concurrence, compétition mais aussi coopération et interdépendance.
Alors que l’Europe occidentale a cru pouvoir toucher les dividendes de la paix en réduisant fortement ses budgets militaires depuis la fin des années 1990, d’autres pays ont fait le choix de se réarmer. Le marché mondial est ainsi estimé à environ 400 milliards de dollars avec des approches très différentes d’un continent à l’autre. La suprématie américaine est quasi incontestée et phagocyte en particulier l’industrie européenne de défense à l’image du programme F-35 qui est en passe de monopoliser l’offre et de faire disparaître à court terme l’industrie aéronautique militaire européenne des avions de combat.
L’ouvrage est divisé en trois chapitres. Le premier retrace les mutations du secteur depuis les arsenaux d’État des siècles passés jusqu’aux entreprises actuelles, avec, en corollaire, la question sensible du contrôle de l’État sur celles-ci. À l’issue de la guerre froide, malgré une baisse temporaire des marchés, le paysage de l’industrie mondiale a été transformé avec des décloisonnements notamment à l’Ouest par un investissement accru des acteurs civils et la fin des monopoles étatiques.
Le deuxième chapitre porte sur l’analyse économique de la production de défense sur un marché annuel d’environ 400 milliards de dollars dont entre 50 à 70 milliards très convoités par les pays producteurs concernant l’exportation.
Dépenser pour la défense, c’est aussi investir pour l’économie, en particulier pour les pays producteurs d’armements. Des débats existent entre les économistes sur cette approche, certains considérants que les dépenses militaires ont plutôt des effets négatifs. Dans tous les cas, il faut souligner que les États conservent un rôle central dans le processus décisionnel et le choix d’un équipement, étant clients, fournisseurs ou acheteurs.
Le troisième et dernier chapitre traite de la compétition et la coopération. Ce double mouvement structure les industries et les marchés la plupart du temps au profit des États fournissant des armements, et en particulier les États-Unis dont le leadership reste sans réelle concurrence, même si la Russie est en deuxième position avec des clients spécifiques. À cet égard, l’industrie de défense russe est vitale pour l’économie du pays.
À l’inverse, les pays importateurs ont souvent des ambitions régionales ou des contraintes de défense par rapport à une perception de menaces extérieures, les poussant à s’équiper sans qu’il y ait toujours une réelle logique opérationnelle.
Pour l’Europe, la question est devenue quasi existentielle, car l’avenir de son industrie de défense est en jeu face à la concurrence américaine et l’absence d’unification du marché européen marqué par une dispersion industrielle encore importante. La coopération existe mais elle n’est pas toujours très performante. Certains programmes manquent de fiabilité comme l’avion A400M ou l’hélicoptère NH90, avec une complexité pénalisante de la production et du maintien en condition opérationnelle (MCO). De nombreux écueils existent en raison des difficultés pour conduire des projets qui fonctionnent, sans parler de programmes qui n’arrivent pas à émerger comme les drones du type MALE.
Il est clair qu’un besoin de protection s’impose face aux ambitions américaines et au fait que le marché américain est lui-même verrouillé.
Ce livre est stimulant et propose un éclairage utile sur un sujet géopolitique majeur et qui structure les relations entre États, d’autant plus que le retour des États puissance se traduit par une augmentation des tensions dans le monde et donc un besoin accru de sécurité.