Hitler chef de guerre
Le lecteur de cette copieuse étude sur les talents stratégiques d’Hitler ne sera sans doute pas totalement convaincu par la démonstration qui est faite de leur insuffisance. Sans doute, les traducteurs eux-mêmes – Jacques Mordal et Robert Delort – qui ont précisé dans des notes que certains jugements de l’auteur leur semblaient trop catégoriques, n’ont pas non plus entièrement partagé l’opinion de Gert Buchheit. Celui-ci expose, tout en reconnaissant que certaines « intuitions » du Führer eurent sur les opérations un effet bénéfique, à quel point ses actes étaient dictés par des impressions et des nécessités immédiates de politique intérieure et extérieure, en même temps d’ailleurs que par des rêves immenses et peu réalistes sur l’avenir allemand. Tous ces sentiments contraires s’accordent mal avec le calcul objectif du stratège et la science militaire telle qu’elle s’apprend dans les écoles de guerre.
En somme, le reproche le plus fondé est celui d’avoir pris la direction des opérations, d’avoir effectivement commandé, sans vouloir charger des questions techniques un chef d’état-major général qui eût été un véritable professionnel. Les interventions d’Hitler dans les décisions capitales de la guerre, après décembre 1941, furent – c’est un fait et une constatation – toutes malheureuses. Sa façon d’éliminer les chefs les plus solides et les plus dévoués, en plein combat, lorsqu’ils avaient cessé de plaire, généralement pour avoir été francs, fut évidemment préjudiciable ou, comme dans le cas de Stalingrad, catastrophique. Enfin, la répulsion d’Hitler pour le contact direct de la troupe au combat le conduisait à un aveuglement et à la négation des réalités les plus criantes. C’est donc essentiellement par un manque ou un refus d’organisation qu’Hitler a péché et provoqué le désastre de son armée et de son pays. Telle est du moins la conclusion que nous tirons de cet ouvrage, en ce qui concerne l’action du Führer comme chef de guerre.
Mais en traitant son sujet, l’auteur est amené à faire un historique de la guerre. Ce n’est pas la partie la moins intéressante du livre, qui apporte à un dossier déjà épais une pièce importante. L’action de certains généraux allemands, et notamment celle de Rommel, est décrite de façon très frappante. Cette partie historique justifie la longueur de l’ouvrage, que le procès du « chef de guerre » n’aurait pas réussi à remplir à lui seul. ♦