Maritime - En France : situation de la Marine nationale à l'horizon 1980 - Lancement du chasseur de mines Circé - Activité de la flotte soviétique en 1970
En France : situation de la Marine nationale à l’horizon 1980
À moins que l’évolution de la conjoncture internationale n’oblige d’ici là à réviser la politique militaire de notre pays, il est possible, maintenant que la 3e loi d’équipement militaire a été adoptée par le Parlement, de dresser le panorama de ce que sera notre Marine en 1980.
Si l’on considère que la durée de vie moyenne généralement admise d’un navire de guerre est de vingt ans, on sait déjà que plusieurs des bâtiments aujourd’hui en service, notamment dans la catégorie des bâtiments légers qui vieillissent plus vite, seront inexorablement radiés de la flotte dans le courant de l’actuelle décennie. Ce sera surtout le cas à partir de 1975 car alors un grand nombre d’unités datant des tranches navales étoffées des années cinquante à cinquante-sept, auront atteint l’âge limite. Compte tenu par ailleurs, des délais de construction – trois à quatre ans selon les bâtiments – et de l’étalement sur cinq années des tranches navales de la future 4e loi de programme, on peut avancer qu’aucun navire inscrit à cette dernière, ne sera en service en 1980 ; auront seules rallié la flotte les unités prévues au troisième plan.
En 1980, la composante navale de notre force de dissuasion comprendra cinq sous-marins nucléaires lance-missiles balistiques (SNLE) puisque l’on peut maintenant, après les déclarations qu’a faites M. Debré à l’occasion de son récent embarquement sur Le Redoutable, considérer comme probable sinon comme certain que le 5e bâtiment de ce type sera effectivement mis en chantier. Du fait des progrès techniques et technologiques qui seront accomplis d’ici là, une partie, voire peut-être même la totalité, de ses sous-marins sera équipée des missiles d’une portée, d’une précision et d’une puissance nettement plus grandes que celles des MSBS (Mer-sol balistique stratégique) de la première génération qui doivent d’abord équiper Le Redoutable. Avec ces cinq sous-marins il sera possible tout au long de leur existence d’en maintenir au moins deux en permanence en station (1) et donc de faire peser sur tout agresseur potentiel la menace que représente un minimum de trente-deux missiles à charge mégatonnique. Cette possibilité jointe à la très grande invulnérabilité et à la difficile localisation qui caractérisent tout SNLE constitueront sans aucun doute en 1980, le facteur fondamental de notre force de dissuasion. À cette époque donc, la situation de notre Marine pourra être considérée comme satisfaisante dans cette catégorie de bâtiments et elle sera alors capable de jouer efficacement le rôle qui lui a été dévolu par le Gouvernement dans sa politique de dissuasion.
Mais sera-t-elle convenablement en mesure :
– d’assurer la surveillance et la défense des atterrages métropolitains ?
– de soutenir nos intérêts outre-mer ?
– de protéger notre commerce extérieur et l’arrivée à bon port des ressources énergétiques, de ce pétrole surtout, dont notre économie dépend chaque jour davantage ?
– de manifester notre présence et de maintenir notre liberté d’action en Méditerranée d’abord où nous avons tant d’intérêts de tous ordres, et dans le reste du monde ensuite ?
Eh bien ! Pourquoi ne pas le dire nettement ; notre Marine n’aura pas en 1980 les moyens nécessaires pour remplir de façon satisfaisante toutes ces tâches. L’ossature de la flotte, hors Force nucléaire stratégique (FNS), sera alors en principe constituée des porte-avions Clemenceau et Foch, d’un porte-hélicoptères neuf, de la Jeanne d’Arc, du croiseur Colbert modernisé et des deux frégates lance-missiles Suffren et Duquesne. Les deux porte-avions auront près de 20 ans, ce qui en soi n’aura pas tellement d’importance car la longévité de ce type de bâtiment s’est révélée extraordinaire comme en témoignent les nombreux porte-avions américains encore en service bien qu’ils aient été construits durant la Seconde Guerre mondiale. L’important sera que ces deux navires puissent utiliser des avions efficaces : or à cette époque, le seul matériel moderne embarqué sur ces bâtiments sera constitué par une vingtaine d’avions d’attaque Jaguar dont il faut espérer qu’ils pourront utiliser l’arme nucléaire tactique à moins qu’une décision soit prise d’ici là en ce qui concerne le remplacement des intercepteurs Vought F-8 Crusader que la Marine va s’efforcer de maintenir en ligne un peu au-delà de 1975. Le Colbert aura 23 ans et sa modernisation, en cours, ne permettra guère de le prolonger beaucoup au-delà de 1980. Le porte-hélicoptères neuf est celui qui doit, en principe, être mis sur cale à la fin du 3e plan. Ce sera sans doute un bâtiment de 15 000 à 20 000 tonnes capable de mettre en œuvre, selon la mission prévue, soit des hélicoptères ASM (anti-sous-marin), soit des hélicoptères d’assaut.
S’ajouteront à ces sept grands bâtiments, une demi-douzaine d’escorteurs récents de 3 500 à 5 000 t (l’Aconit, trois corvettes type C67, deux à trois autres du type C70) et une dizaine de navires construits avant 1958 et dont la modernisation datera d’au moins dix ans. Il s’agit des quatre escorteurs d’escadre type T47 transformés en lance-missiles Tartar et des cinq T47 refondus ASM auxquels s’ajoutera le Duperie dont la modernisation est prévue au 3e plan. Les quatre T47 Tartar seront presque hors d’âge. Il est donc indispensable qu’au 4e plan des bâtiments de remplacement soient prévus, sinon la défense aérienne à la mer de nos forces navales risque de ne plus être assurée au début des années 1980 que par les deux Suffren.
Tout aussi préoccupante sera la situation de notre Marine dans la catégorie des bâtiments légers. Le nombre des navires ASM sera de l’ordre de vingt-cinq dont un peu plus de la moitié constituée par des avisos récents de 1 200 t à vocation de défense ASM côtière. Il convient toutefois pour être objectif de rappeler que tous ces navires de surface, moins nombreux certes que ceux d’aujourd’hui, auront par contre une puissance offensive et défensive très supérieure.
Pour ce qui concerne les sous-marins classiques, le retrait des bâtiments atteints par la limite d’âge (il s’agit des Aréthuse) tout juste compensé par l’entrée en service des quatre super Daphné inscrits au 3e plan, réduira leur nombre à treize et peut-être à dix-neuf si l’on décide de prolonger la vie des six unités de 1 600 t de la classe Narval qui viennent d’être très sérieusement refondues.
Plus inquiétante encore sera la condition de la flotte auxiliaire puisqu’à côté de cinq petits bâtiments logistiques relativement récents, elle ne disposera que d’un seul pétrolier ravitailleur moderne ce qui ne manquera pas de réduire la liberté d’action de nos forces.
Le parc aérien de l’aéronautique navale comprendra un peu plus de cent aéronefs embarqués de type divers (Sepecat Jaguar, hélicoptères Sud-Aviation SA321 Super-Frelon et Westland WG.13 Lynx). L’aviation basée à terre sera forte d’environ trente patrouilleurs Breguet Atlantic, âgés en moyenne de 13 ans, mais dont une partie aura été revalorisée par une assez profonde modernisation et enfin quelque cent appareils affectés aux écoles et aux servitudes.
En résumé donc, notre Marine va s’amenuiser durant la décennie et son âge moyen passer de 12 aujourd’hui à 18 ans en 1980, mais ce ne serait peut-être pas le plus grave si notre flotte bien que plus petite était alors, comme le disent si justement nos voisins britanniques une « balanced fleet », c’est-à-dire une force équilibrée dans tous ses moyens ; ce ne sera malheureusement pas le cas. Le Gouvernement, conscient de cette perspective, a accepté cependant qu’il en soit ainsi pour ne pas réduire l’effort prioritaire en faveur de la FNS dans le cadre financier qu’il s’est tracé. Il sera donc nécessaire de redresser au cours du 4e plan d’équipement militaire cette situation sous peine de voir rapidement se constituer un déséquilibre dangereux entre la force des SNLE et la masse d’ensemble de la Marine. Ce déséquilibre pourrait avoir de fâcheuses répercussions sur le recrutement et la formation du personnel d’élite chargé d’armer ces sous-marins. Le recrutement des équipages de ces bâtiments implique l’existence d’une force classique nombreuse, la sélection de personnels de valeur ne pouvant en effet se faire régulièrement qu’au sein d’effectifs importants. Si cet effort indispensable n’est pas compris par l’opinion et par ceux qui vers le milieu de la présente décennie auront la responsabilité de son avenir, notre pays se possédera plus ce que l’on peut appeler une vraie Marine mais une force tout au plus symbolique, à peine suffisante pour assurer la sûreté et le fonctionnement de nos SNLE, ce qui aurait pour conséquence inéluctable de faire perdre tout l’avantage que confère pour notre liberté d’action la force de dissuasion forgée avec tant de ténacité et qui justement dans les années quatre-vingt reposera avant tout sur ces bâtiments. Cette perspective ne serait pas digne de l’exceptionnelle situation géographique de notre pays, de la place qu’il compte tenir en Europe (2) et de ses légitimes ambitions extérieures, car à moins de faillir à sa mission la France ne peut renoncer à être présente hors d’Europe.
Lancement du chasseur de mines Circé
Prototype d’une série de cinq bâtiments de 500 t et 15 nœuds de vitesse maximale le chasseur de mines Circé a été lancé le 15 décembre 1970 aux Ateliers mécaniques de Normandie à Cherbourg. Conformément à la méthode traditionnelle de cette firme, le navire a été mis à l’eau terminé et a aussitôt commencé ses premiers essais. Le deuxième bâtiment qui portera le nom de Clio est décalé de sept mois ; les trois derniers (Calliope, Cybèle et Cérès) seront ensuite lancés à la cadence d’un tous les trois mois. Dans ces conditions, l’ensemble de la division sera opérationnel dans le courant de l’été 1972.
La mine est une menace extrêmement grave – les deux conflits mondiaux et plus près de nous l’affaire coréenne l’ont amplement montré – à laquelle toutes les marines s’attachent à trouver une parade efficace. Sans même que l’on soit en guerre, un éventuel perturbateur pourrait être tenté en cas de tension par exemple, de placer anonymement des mines dans nos atterrages, particulièrement dans ceux de Brest, base de nos SNLE ; c’est là un des procédés par lequel il pourrait essayer de « tourner la dissuasion ». Aussi les cinq Circé auront-ils pour mission principale d’assurer, parallèlement aux autres moyens, la protection des mouvements de ces bâtiments.
La chasse est la plus récente méthode de lutte contre les mines ; elle complète les techniques du dragage (mécanique et à influence) et de la plongée (utilisation de plongeurs-démineurs sur les mines préalablement localisées). Elle consiste essentiellement à mettre en œuvre des appareils de détection sous-marins pour localiser les mines afin de pouvoir ensuite les neutraliser.
L’équipement des Circé comprend :
– un sonar de coque, hissable, destiné à détecter et classifier les mines posées sur le fond ;
– deux moyens complémentaires pour identifier et détruire ces mines : des plongeurs-démineurs – ils sont six à bord – capables d’un travail intelligent mais limité par la profondeur et le courant ; des engins sous-marins, télécommandés pour l’identification et la destruction des mines ;
– des moyens de navigation : un système de radionavigation qui autorise une grande précision et vient d’être installé dans la région de Brest ; un radar associé à des bouées à très faibles dérives ;
– un système enfin de marche spécial : deux hélices accrochées sous les safrans (gouvernails actifs) assurant une très grande manœuvrabilité pendant les opérations de chasse aux mines (vitesse maximale : 7 nœuds).
Activité de la flotte soviétique en 1970
1970 a été une année faste pour la Marine soviétique. Son potentiel s’est accru par la mise en service de plusieurs types de bâtiments neufs et elle a manifesté une intense activité dont le point culminant a été atteint à l’occasion de l’exercice Okean.
Au moins 5 à 6 SNLE de la classe Y ont rallié la flotte portant à une douzaine le nombre de bâtiments de ce type en service. Ces sous-marins d’environ 8 000 t sont dotés de 16 missiles balistiques du type SSN.6 lancés en plongée et capables d’atteindre une cible située à 3 000 km. Dans la catégorie des Sous-marins nucléaires d’attaque (SNA), la flotte s’est enrichie de quelques bâtiments, 4 à 5 estime-t-on généralement, des types V et C. Le V est un bâtiment silencieux et rapide équipé de torpilles. Le C est équipé de torpilles mais aussi porteur de missiles antisurface lesquels seraient lançables en plongée. Si cette possibilité de lancer ces missiles en plongée se confirme, ce type de sous-marin, unique en son genre, représente une très grave menace car il peut, grâce à ses moyens de détection passifs, détecter à grande distance les forces navales dont la présence lui aura été au préalable signalée. Il pourrait alors pister cette force, s’approcher d’elle à portée de missile et l’attaquer sans avoir manifesté sa présence ni pénétré dans la zone de détection du ou des bâtiments qui la composent, ce qu’il serait obligé de faire avec des torpilles.
La flotte de surface s’est enrichie d’un grand croiseur lance-missiles du type Kresta II, que rejoindra bientôt un second navire du même type actuellement en essais en Baltique, tandis que 5 à 6 autres au moins seraient en construction. Le programme de refonte en lance-missiles des destroyers en service s’est poursuivi et 3 à 4 bâtiments de ce type ont été réadmis au service actif. Dans la classe des petits bâtiments, un nouveau patrouilleur de 800 t équipé de 6 missiles surface-surface, le Nanouchka a également fait, en nombre déjà important, son apparition dans la flotte. Ce type de bâtiment paraît tout à fait adapté aux opérations en Baltique, en mer Noire et en mer Blanche ou en général dans les mers étroites ou fermées. Dotés d’une puissance de feu considérable pour leur petite taille, ils sont susceptibles d’assurer aux moindres frais la maîtrise de ces théâtres et de libérer pour d’autres tâches les grands navires qui y sont aujourd’hui affectés.
Le tableau ci-dessous résume d’après les sources les plus autorisées ce que pourrait être le potentiel de la flotte soviétique à l’orée de l’année 1971.
Composition présumée de la Flotte soviétique au 1er janvier 1971
|
Arctique |
Baltique |
Mer Noire |
Pacifique |
Total |
Forces stratégiques : |
|
|
|
|
|
SNLE |
16 |
|
|
6 |
22 (1) |
Sous-marins diesel lance-missiles balistiques |
14 |
|
|
6 |
20 (2) |
Forces à usage général : |
|
|
|
|
|
Croiseurs porte-hélicoptères |
|
|
2 |
|
2 |
Croiseurs lance-missiles |
3 |
|
4 |
3 |
10 |
Croiseurs classiques |
1 |
4 |
4 |
3 |
12 |
Destroyers et escorteurs océaniques |
40 |
40 |
55 |
45 |
180 |
Vedettes et patrouilleurs lance-missiles |
40 |
50 |
20 |
60 |
170 |
SNA |
30 |
|
|
30 |
60 (3) |
Sous-marins diesel |
90 |
65 |
40 |
65 |
260 (4) |
(1) Dont 12 du type Y et 10 du type H, ceux-ci porteurs de 3 missiles du type SSN-5 de 1 300 km de portée.
(2) Équipés de 3 missiles type SSN-5 ou SSN-4 de 700 km de portée (lancement en surface.)
(3) Dont une trentaine équipée de missiles aérodynamiques.
(4) Dont 25 à 35 dotés de missiles aérodynamiques.
L’activité de cette flotte a été – comme les années précédentes – considérable. Soit en groupes plus ou moins importants, soit isolément, les navires russes ont sillonné tous les océans. Les zones les plus fréquentées ont été bien entendu la Méditerranée mais aussi l’Atlantique occidental, les côtes d’Afrique et l’océan Indien. En Méditerranée l’escadre soviétique s’est toujours maintenue à un niveau élevé. Forte en général de :
– un croiseur,
– quatre à cinq bâtiments lance-missiles,
– une demi-douzaine de destroyers et d’escorteurs,
– une dizaine de sous-marins dont presque toujours un ou deux nucléaires d’attaque,
elle a été très souvent renforcée durant de longues périodes par un ou deux croiseurs porte-hélicoptères du type Moskva. Cette escadre a effectué de nombreux exercices d’importance variable et surveillé attentivement les mouvements des navires et les manœuvres des flottes occidentales. Il convient de noter à ce propos qu’elle a, pour ne pas envenimer une situation déjà délicate, fait preuve d’une certaine discrétion au moment de la crise jordanienne. Elle a, certes, suivi les mouvements de la VIe Flotte américaine mais de façon non ostentatoire ni provocatrice.
L’exercice Okean a couronné cette activité. Il s’est déroulé en avril dans l’Atlantique Nord et le Pacifique sous la haute direction du commandant en chef de la Marine, l’Amiral Sergei Gorchkov. Il a mis en œuvre plusieurs dizaines de navires de surface et de sous-marins ainsi que de nombreuses flottilles de bombardiers à moyen et grand rayon d’action équipés de missiles à longue portée. Ce gigantesque exercice destiné à frapper autant les dirigeants soviétiques que l’opinion mondiale a montré que les Soviétiques cherchaient désormais à coordonner des opérations aéronavales à l’échelle mondiale. ♦
(1) Deux en station, un en grand carénage ou en refonte pour modernisation, un au port en petit entretien pendant que son équipage est au repos, un on transit ou à l’entraînement.
(2) L’amenuisement de notre Marine risque d’accentuer, en Europe, l’hégémonie de la Royal Navy. La Grande-Bretagne pourrait alors devenir l’unique interlocuteur de nos partenaires européens dès qu’il s’agira de la mer, c’est-à-dire des problèmes à l’échelle du monde.