Afrique - Égypte et Soudan : une porte étroite vers la stabilité - L'Organisation de l'unité africaine (OUA) en crise à cause de son secrétaire général (Edem Kodjo) et du Sahara occidental
Durant son voyage aux États-Unis en février 1982, le président égyptien Moubarak a reçu l’assurance d’une aide économique et militaire accrue. Il s’est également fait le porte-parole du Soudan pour obtenir que la générosité de Washington s’étende à un pays qui traverse la crise mondiale dans les pires conditions politiques et sociales. Le président égyptien a plaidé en faveur de l’existence d’une entité nationale palestinienne, avant de paraître céder devant les objections américaines et d’admettre que Camp David représentait toujours la mécanique la plus valable pour un règlement d’ensemble au Proche-Orient. Ces quatre faits montrent bien quelle démarche est utilisée par le nouveau Raïs pour sortir des contradictions qui ont conduit M. Anouar el Sadate à une impasse sinon à sa perte. Il faut ajouter une analyse moins superficielle que sous le régime précédent du renouveau de l’intégrisme musulman, analyse qui a fait apparaître, à côté des anciennes formations politico-religieuses assez passives, l’existence de nombreux petits groupements autonomes. Ceux-ci ne sont pas dotés de cadres possédant une expérience politique ; par conséquent, ils n’ont pas d’autre mode d’expression que la violence. Pour acquérir les moyens d’exercer cette violence, ils doivent s’allier à des courants, souvent opposés, d’un terrorisme international dont il est difficile de déceler les objectifs. M. Sadate n’a pas été victime en 1981 des « Frères musulmans », comme on pouvait le penser, mais d’un commando dont les affiliations sont difficiles à déterminer ; ce groupe visait moins à déstabiliser le régime qu’à se venger d’un président qui avait cru surmonter des contradictions restées inconciliables dans l’opinion d’un peuple désorienté.
Les Égyptiens avaient été surpris par la soudaine disparition de Nasser. Les uns aspiraient alors à une libéralisation de l’économie, d’autres à une réduction des dépenses militaires, donc à la paix, d’autres à une restauration de l’ordre religieux ébranlé par l’alliance du nassérisme et du marxisme. Aucun, à l’exception de ceux qui avaient profité du régime précédent, ne pensait que le gouvernement égyptien, privé de son chef inspiré, serait capable de continuer à mener une politique d’austérité, d’agressivité et de syncrétisme dogmatique. Toutefois, les différentes tendances de l’opinion restaient contradictoires : en particulier, les partisans d’une renaissance religieuse, s’ils étaient parfois conscients qu’un plus grand libéralisme était utile en matière économique, ne pouvaient accepter que la paix avec Israël fût l’objet d’un compromis. Le président Sadate, à son entrée en fonction, se vit poussé à s’appuyer sur cette tendance afin de se démarquer des nassériens, de trouver un style de gouvernement qui lui fût propre, d’ouvrir des perspectives économiques lui permettant d’échapper à la pénurie du dirigisme que Nasser était seul capable de faire endosser par l’opinion. Une telle orientation impliquait, à terme, une rupture avec l’Union soviétique et un rapprochement avec les États-Unis, rapprochement dont la condition était une transformation radicale de la politique égyptienne à l’égard d’Israël. Cette condition n’était approuvée que du bout des lèvres par les confréries musulmanes sur lesquelles entendait s’appuyer le nouveau gouvernement. M. Sadate multipliait à leur égard les encouragements, leur permettant même dans une certaine mesure, et pour contrer les associations nassériennes ou communistes, de noyauter universités, administrations et usines. Quand il fut démontré que le libéralisme ne résolvait pas les difficultés de l’économie, et qu’il augmentait le mécontentement populaire en accentuant les divisions de classe, ce qui était contraire à l’esprit de l’Islam, lorsqu’il devint clair que, malgré la victoire de l’Égypte, la paix préservait surtout les intérêts d’Israël qui, en dehors de la rétrocession du Sinaï obtenue par les armes, s’assurait, par la négociation, d’importantes concessions égyptiennes et la passivité du Caire devant les provocations de Tel-Aviv à l’égard du monde arabe, le mécontentement ne se manifesta pas à visage découvert : les dirigeants d’organisations musulmanes ne s’opposaient à Sadate qu’avec modération, mais la propagande qui s’était développée sous leur couvert rendit plus aisée la formation secrète de groupes activistes et la propagation d’une doctrine assimilant la religion à l’État, le Coran à un dogme révolutionnaire, la guerre sainte à l’action politique.
Le président Moubarak hérita d’une situation qui, par le meurtre du président Sadate, était devenue à la fois plus tendue qu’auparavant et moins alourdie par le contentieux affectif dont le Raïs assassiné souffrait dans ses relations avec son peuple : les gestes spectaculaires qu’il avait accomplis et qui étaient la condition du succès de ses différents « paris », avaient fait de lui une des personnalités les plus populaires du monde occidental mais l’avaient desservi auprès de son opinion, qui avait mal compris leur véritable finalité. Ces gestes avaient perdu leur semblant de justification, aux yeux de cette dernière, à mesure que les « paris » de Sadate s’étaient avérés décevants. L’attitude israélienne concernant les Palestiniens, l’annexion de la Cisjordanie et de Gaza, la rupture avec le monde arabe conduisit les Égyptiens à estimer que les accords avec Israël n’étaient profitables qu’au gouvernement de M. Begin. D’autre part, la perte quasi totale des subsides des États arabes modérés n’avait pas été compensée par l’aide américaine, bien moins élevée que celle accordée à Tel-Aviv, et utilisée surtout à augmenter le potentiel militaire de l’Égypte.
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