Un seul lit pour deux rêves. Histoire de la détente : 1962-1981
Depuis la publication de son Histoire de la guerre froide, on savait que le rédacteur en chef du Monde était aussi un historien de valeur et l’on attendait qu’il donne une suite à son ouvrage pour couvrir la période allant des lendemains de la crise de Cuba (1962) à l’invasion de l’Afghanistan (1979). L’histoire de la Détente est ce prolongement attendu. On peut se demander si ce sous-titre est pleinement justifié, la détente n’ayant, en fait, connu qu’une existence éphémère, au milieu des années 1970, avec la signature de SALT I (1972), puis des accords d’Helsinki (1975).
Encore faut-il remarquer que, sous ce vocable, les deux Grands nourrissaient des desseins différents, les Soviétiques n’y voyant pour leur part que l’une des phases de la coexistence pacifique qui n’exclut pas, bien au contraire, la poursuite de l’affrontement idéologique ni le soutien actif à la progression du marxisme là où les forces armées des deux puissances ne risquent pas de se heurter. En dehors de cette brève période d’entente pour éviter le retour de crises « au bord du gouffre » comme celle de 1962, les deux superpuissances ont pu paraître poursuivre le même rêve de domination mondiale qui implique l’effacement de l’autre.
Ce qui ressort de l’histoire retracée ici, c’est que les États-Unis ont commis tant d’erreurs au cours de cette période que les Soviétiques ont cru pouvoir exploiter ces fautes et profiter impunément de l’affaiblissement qui en est résulté pour l’Occident pour pousser leurs pions sur toutes les cases où celui-ci était en recul. En nous faisant revivre ces drames qui ont secoué l’Asie du Sud-Est et du Sud, le Proche-Orient, l’Afrique et l’Amérique latine, André Fontaine nous fait toucher du doigt les erreurs de Johnson et de Nixon qui engluèrent la puissance américaine dans le piège indochinois (1963-1973) et y firent sombrer le moral de la nation ; il montre l’incohérence de la politique de Carter vis-à-vis de l’Iran et le coup fatal porté au prestige américain par le lâchage du Chah (1979), la passivité américaine devant l’assassinat du prince Daoud (en avril 1978), passivité que les Soviétiques interpréteront comme un feu vert donné à leur intervention en Afghanistan.
L’intérêt du livre d’André Fontaine tient à l’abondance de la documentation qu’il a dépouillée et des confidences qu’il a recueillies de la bouche même de nombreux acteurs ou témoins directs de ces drames. La combinaison de ces éléments entre les mains d’un homme rompu aux méthodes de l’information objective nous donne la garantie de trouver ici l’approche la plus sérieuse de la vérité historique concernant cette période.
Au terme de cette narration scrupuleuse, nous aurions cependant souhaité qu’André Fontaine aidât un peu plus son lecteur à tirer en quelque sorte les leçons de cette histoire. Au lieu des six pages qui constituent une brève conclusion, nous aurions préféré qu’il réponde à de nombreuses interrogations qui se posent naturellement. Les acteurs de ces drames pouvaient-ils éviter les erreurs qu’ils ont commises ? De quelle marge de liberté disposaient-ils vis-à-vis de leurs opinions publiques et de leurs systèmes politiques internes ? Quel usage peut-on faire de la puissance et de la force armée ? Quelles sont leurs limites ? Comment enrayer l’expansionnisme soviétique ? Comment offrir aux nationalismes naissants une autre issue que le marxisme ? Même s’il ne répond pas à toutes ces questions, le livre d’André Fontaine a le grand mérite d’inciter à se les poser et il fait comprendre ce qu’en tout cas il ne fallait pas faire… ♦