L’économie mondiale en trois dimensions
Michel Courcier, qui fut le fondateur du « Groupe d’études prospectives internationales » (GEPI), puis l’animateur du « Centre d’études prospectives et d’informations internationales » (CEPII), créé auprès du Commissariat général au Plan pour analyser l’évolution de l’économie mondiale, nous fait part dans cet ouvrage très riche de son incomparable expérience. Elle porte en effet à la fois sur les perspectives à moyen terme de l’économie internationale et sur les méthodes nouvelles de la prospective économique.
En ce qui concerne son premier propos, Michel Courcier analyse pour nous avec une claire lucidité l’évolution de l’économie mondiale au cours des 20 dernières années : accumulation exponentielle des connaissances, réversion démographique en faveur des pays en voie de développement, montée des dépenses d’investissement et de consommation publique, développement très rapide des échanges internationaux, forte croissance économique de l’ensemble Amérique du Nord-Europe-Japon, bouleversement du système des prix relatifs, conséquences pour le Tiers-Monde avec ses gagnants et ses perdants, et enfin l’actuelle « crise » qui en est l’aboutissement.
Michel Courcier examine de façon aussi convaincante les tendances lourdes qu’il distingue à l’horizon 2000 : accentuation de l’inversion et de la disparité démographique (80 % de la population localisée dans les pays en voie de développement, 50 % de l’accroissement concentré en Chine, Inde, Indonésie, Brésil, Bangladesh, Pakistan, Nigeria et Mexique, déclin de l’Europe occidentale), transfert vers les pays en voie de développement des productions conventionnelles, apparition de nouvelles industries qui intègrent production et services, tensions multiples au sein d’un monde de plus en plus interdépendant. Ces tensions ne résulteront pas tant de la pénurie globale de ressources (sauf pour les céréales et l’énergie entre 1990 et 2000) que des inégalités dans leur répartition, et surtout de la fragilité générale des équilibres socio-politiques internes et externes, aussi bien dans le Sud que dans le Nord.
À partir de cette analyse ainsi trop brièvement résumée, Michel Courcier commente et quantifie les cinq scénarios proposés par le groupe Interfuturs de l’OCDE : croissance mondiale forte et concertée, croissance modérée et solidaire, croissance freinée par les tensions sociales aux États-Unis et en Europe, rupture Nord-Sud, trois blocs Nord-Sud liés respectivement aux États-Unis, au Japon et à l’Europe. Il considère ce dernier scénario, le plus défavorable pour la CEE (Communauté économique européenne), avec le scénario de rupture Nord-Sud, comme le plus probable et il souligne que, dans tous les scénarios, les États-Unis et la CEE enregistreront un déclin relatif de leurs positions industrielles à l’horizon 2000.
Toutes ces considérations sont fort intéressantes du point de vue de la Défense, mais notre intérêt personnel a été retenu surtout, dans l’ouvrage de Michel Courcier, par les informations qu’il veut bien nous confier sur la méthodologie mise au point par son équipe du CEPII pour simuler l’évolution de l’économie mondiale à moyen terme. Il nous décrit ainsi le modèle Moïse, qui intègre de façon cohérente et dynamique au plan international toutes les opérations économiques, tant internes qu’externes. Il nous présente également les sous-modèles qui lui ont permis de faire vivre de façon plus fine le modèle principal. Il souligne que modèle et sous-modèles ne sont pas des robots, mais seulement des outils, et qu’ils doivent être complétés par des études spécifiques portant sur les problèmes jugés fondamentaux (par exemple, en économie : énergie, taux de change, structures industrielles, phénomènes de spécialisation, etc.) et par des scénarios alternatifs destinés à faire apparaître clairement les choix offerts aux décideurs.
Cette réflexion amène Michel Courcier à proposer d’accorder, dans la prospective économique, une place plus importante qu’actuellement aux stratégies des acteurs eux-mêmes de la vie internationale : États-nations, intermédiaires financiers, entreprises multinationales et groupes sociaux. On ajouterait ainsi à la méthodologie de l’économie une « troisième dimension » qui serait en définitive la dimension humaine.
Cette conclusion que nous livre Michel Courcier dans « L’économie mondiale en trois dimensions » vaut aussi, pensons-nous, pour les études prospectives sur la défense. Mais la difficulté est alors que l’irrationnel reste toujours possible et que la peur ne se quantifie pas. ♦