Défense dans le monde - Jedintsvo 83
Le concept de la Défense populaire généralisée (DPG), élaboré par les autorités yougoslaves au lendemain de l’invasion de la Tchécoslovaquie par les forces du Pacte de Varsovie, a, depuis 1969, date de sa définition, donné lieu à diverses expérimentations tactiques sur le terrain. Le dernier exercice de grande ampleur mettant en œuvre des éléments multiples composants de la DPG, s’était déroulé en République de Serbie en 1976, sous le nom de Golija.
En organisant une manœuvre d’importance comparable, les 13 et 14 septembre 1983, le gouvernement fédéral se proposait sans doute de procéder à une nouvelle évaluation d’un système complexe et exigeant pour tout le pays puisqu’il fait obligation à tous les citoyens hommes et femmes de se dresser contre l’envahisseur.
Baptisé Jedintsvo 83, cet exercice avait pour cadre le territoire de la République de Macédoine. La proximité de l’Albanie et les incidents du Kosovo en 1982 n’étaient peut-être pas totalement absents des considérations qui ont entraîné le choix de cette zone de manœuvre. Belgrade, en tout cas, s’est efforcé de contrer d’éventuelles interprétations malveillantes en notifiant officiellement ces activités et en invitant des observateurs alors même que le volume des effectifs engagés ne l’y contraignait pas, aux termes de l’Acte final de la conférence sur la sécurité et la coopération en Europe.
Avec 22 000 hommes, 1 800 véhicules, 250 pièces d’artillerie et près de 200 sorties d’avions ou d’hélicoptères, ce sont essentiellement les moyens de la 3e Région militaire d’armée qui ont été déployés dans cet exercice à double action. Pratiquement, ce dernier a intéressé une division motorisée renforcée d’éléments de la défense territoriale et de formations de protection civile contre un ennemi de la valeur également d’une division agissant dans une zone d’environ 1 000 km2. Conformément au concept de la DPG, les unités de la défense territoriale et les organisations du « travail associé », dépassées par l’ennemi, menaient le combat à l’intérieur même du dispositif adverse coordonnant leurs efforts avec ceux de l’armée populaire.
Une série de 5 exercices illustrait les différents types d’action que seraient appelés à conduire les citoyens de la République fédérative de Yougoslavie en armes.
Le premier, organisé autour du thème « combat et résistance des forces de la DPG à l’intérieur d’une localité, sise dans la zone des combats », était l’occasion de montrer des formations de protection civile engagées dans la lutte contre l’incendie et dans les opérations d’évacuation, de détection, de déblaiement et de déminage, tandis que les unités de défense territoriale et la milice s’opposaient dans le même temps aux tentatives d’infiltration de l’ennemi.
L’exercice suivant envisageait le cas de la résistance organisée dans une localité, dépassée et occupée par l’envahisseur, en liaison avec les opérations des unités du corps de bataille au contact.
Attentats, sabotages, émissions radio de contre-propagande, manifestations de la population, distribution de tracts, tel était l’éventail des moyens dont la mise en œuvre, combinée avec les actions d’unités régulières, contraignait l’ennemi à disperser ses efforts.
À cette démonstration, succédait l’attaque d’un PC de la division ennemie par les seules forces de défense territoriale, illustrant ainsi la capacité de ces dernières de concevoir et de mener des interventions indépendantes d’une certaine ampleur dans la profondeur du dispositif adverse.
Des unités légères de l’armée populaire et une brigade de défense territoriale recevaient ensuite une mission conjointe d’interception d’une colonne de renforts ennemis appuyés par l’artillerie et soutenus par une formation héliportée. Il s’agissait donc là d’une situation tout à fait caractéristique dans laquelle est appelée à jouer la défense populaire généralisée : les lignes d’arrêt successives des forces régulières ayant été enfoncées par l’envahisseur, les unités s’accrochent à leur zone de défense et poursuivent la lutte avec des moyens plus légers, se fondant en quelque sorte ou agissant en liaison étroite avec les formations de défense territoriale.
Enfin, le dernier cas symbolisait ce qui devrait être une phase de la reconquête face à un ennemi sans doute englué, contraint de disperser ses unités pour s’opposer à ces forces yougoslaves présentes partout, partout insaisissables, ou pour s’en protéger. Une division d’infanterie motorisée à 3 brigades motorisées et une brigade mécanisée était engagée dans une action de rupture d’une défense adverse organisée et tenue par une division d’infanterie (DI) à 2 brigades d’infanterie, une brigade mécanisée, un groupement d’artillerie ainsi que des éléments antichars et antiaériens. Point fort de la manœuvre par l’ampleur des moyens déployés, cet ultime exercice a comporté une série de tirs réels air-sol et sol-sol exécutés par les forces aériennes (Soko J-21 Jastreb, MiG-21 et hélicoptères Gazelle) et terrestres (mortiers de 120, canons de 122-130, lance-roquettes multiples de 128, missiles antichars Sagger, T-72 et LRAC).
Au-delà des évaluations techniques qui peuvent être portées sur l’exécution proprement dite des différents exercices de démonstration, les observateurs étrangers ont souligné le réalisme des scénarios et des parades présentés, de même que leur a paru sans réserve l’adhésion de la population concernée par Jedintsvo.
Du point de vue yougoslave, on peut estimer que cette manœuvre a répondu à un double objectif :
– tester la validité d’un système qui exige la décentralisation du commandement et des moyens, mais dont l’efficacité suppose une coordination poussée entre les différents acteurs ;
– affirmer par le choix même du nom de code Jedintsvo - Unité la volonté unitaire du pays, exprimée dans ce qu’elle a de plus fondamental : la défense, après que les événements du Kosovo ont pu relancer les démons cycliques de la désagrégation. ♦