Afrique - M. Nyerere entre l'Organisation de l'unité africaine (OUA) et la « ligne de front » - La conférence franco-africaine de Bujumbura (Burundi)
M. Nyerere entre l’OUA et la « ligne de front »
En acceptant à Addis Abeba (Éthiopie) la présidence de l’OUA (Organisation de l’unité africaine) jusqu’au Sommet de 1985, M. Nyerere, le président tanzanien, savait qu’il aurait à remplir une quadruple mission. En tant qu’un des derniers fondateurs de l’organisation resté en charge du pouvoir dans un État membre, il devrait convaincre ses collègues, moins anciens et moins animés que lui par la volonté d’unification et de décolonisation continentale qui avait présidé à la naissance du courant panafricain, de faire preuve de conciliation et de se soumettre aux postulats dictés par la sagesse, le plus important de ces postulats étant celui de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation. Dans ce domaine, il aurait à connaître de deux causes dans lesquelles sont impliqués des gouvernements maghrébins : le problème du Sahara, tranché par l’OUA au profit des Sahraouis, donc en conformité avec les principes de l’OUA, mais sans la possibilité d’imposer une décision à l’État en faute qui a quitté l’organisation avec le sentiment d’avoir théoriquement tort mais pratiquement raison ; l’annexion, par la Libye, de la bande d’Aouzou au Tchad, annexion de facto que le conflit intérieur tchadien permet de camoufler, mais que plusieurs États africains considèrent non seulement (à tort ou à raison) comme une dérogation inadmissible à la règle de l’intangibilité des frontières, mais aussi comme une atteinte directe à leur propre sécurité.
La 2e mission de M. Nyerere serait de faire admettre par les pays de l’Afrique noire, notamment par les États du Sahel, que les querelles du Maghreb ne sont pas les seules responsables de la décadence de l’OUA. Cela lui sera d’autant plus difficile qu’il a toujours manifesté, dans ses relations extérieures, une certaine réserve à l’égard du monde arabe, jugeant sans doute que les nations qui se recommandent de la « Nation arabe » ont à résoudre des problèmes qui leur paraissent beaucoup plus importants pour leur stabilité que ceux auxquels est confronté le continent africain et qu’elles en sont obsédées au point de négliger les autres. D’un autre côté, le président de la Tanzanie ne pourra ignorer les réactions que les problèmes du Proche-Orient provoquent en Afrique : accroissement de la pauvreté, due aux répercussions de l’augmentation des produits pétroliers qui a enrichi certains aux dépens des autres, les matières premières n’ayant pas toutes bénéficié de hausses similaires ; transposition sur le plan africain des divisions du monde arabe, transposition qui vide les apparentements idéologiques de tout contenu politique et social se rapportant aux conditions réelles d’un pays d’Afrique noire. C’est ainsi que le continent se divise arbitrairement en régimes « progressistes » et « modérés » en raison des relations privilégiées que chaque gouvernement entretient avec l’un ou l’autre des clans « arabes » ; pourtant cette division, si elle implique certaines servitudes sur le plan international, n’entraîne que rarement des différences de comportement dans les domaines politique, économique et social. Nul doute que M. Nyerere ne déplore cet état de fait, lui qui a souhaité appliquer dans son pays un socialisme né de la tradition, inexportable mais capable de cimenter l’unité d’une Nation dont la vocation particulière ne saurait être généralisée.
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