Défense à travers la presse
Les déclarations de M. Gorbatchev devant le Conseil de l’Europe, à Strasbourg, méritaient sans doute une attention plus vigilante que celle que leur ont accordée les commentateurs. Le thème de la « maison commune » a seul été retenu, ou à peu près. À croire que les médias affectionnent particulièrement ces leitmotive chargés d’émotion mais peu ancrés dans la réalité.
Les propos ayant trait à la défense n’ont, la plupart du temps, fait l’objet que de mentions sans qu’une analyse sérieuse ne vienne les accompagner. Les observations que fait à leur sujet l’éditorialiste du Monde (8 juillet 1989) prouvent pourtant que le champ de la réflexion n’était pas clos :
« En dénonçant à Strasbourg tout recours à la force, non seulement entre les deux alliances européennes mais aussi à l’intérieur de chacune d’elles, il (M. Gorbatchev) vient de répudier la doctrine Brejnev par laquelle ses prédécesseurs avaient justifié l’écrasement du printemps de Prague en 1968. L’engagement vaut ce qu’il vaut (il n’y aura jamais garantie absolue en cette matière), mais il confirme le profil bas adopté depuis quelques années par Moscou à l’égard de toutes les évolutions dans le monde communiste… Parallèlement, les risques de déstabilisation de l’empire soviétique et le rôle que pourrait jouer dans cette évolution le monde extérieur figurent très officiellement maintenant dans les préoccupations. M. Gorbatchev s’en est ouvert à plusieurs reprises… L’appel lancé par le président américain à une évacuation totale de la Pologne par les troupes soviétiques a été d’autant plus vivement critiqué à Moscou que c’est dans ce pays que les réductions unilatérales annoncées sont les plus faibles : 300 chars seulement contre 5 000) qui seront retirés de République démocratique d’Allemagne (RDA), de Tchécoslovaquie et de Hongrie. Tolérance mais vigilance, perestroïka mais diplomatie, c’est à une autre partie de corde raide que se livre M. Gorbatchev dans son empire est-européen. Celle-là non plus n’est pas gagnée d’avance ».
Le Quotidien de Paris, du 7 juillet 1989, n’omet pas de signaler à ses lecteurs que le président soviétique a proposé à Strasbourg une réduction unilatérale des missiles tactiques, à condition que les membres de l’Alliance atlantique soient disposés à ouvrir rapidement des négociations à ce sujet. Une suggestion que l’Otan a immédiatement rejetée. D’où ce commentaire, signé A.B. de notre confrère :
« Face à l’état catastrophique de l’économie soviétique, M. Gorbatchev a un besoin urgent de limiter les dépenses de l’État. Le désarmement est l’un des moyens qu’il a choisis. Pourtant, la lenteur des discussions de Vienne sur les armes conventionnelles et l’absence de progrès notables dans le dialogue soviéto-américain à Genève sur la réduction de moitié des arsenaux nucléaires stratégiques, le placent dans une position d’attente de plus en plus inconfortable. Du point de vue soviétique, le rendez-vous de Strasbourg était l’occasion idéale pour tenter de faire revenir les alliés de l’Otan sur leur fermeté. La fin de non-recevoir à laquelle se heurte M. Gorbatchev tombe donc bien mal, même si le numéro un soviétique s’est arrangé pour conserver plusieurs bonnes cartes dans son jeu. L’une d’elles concerne la proposition de rencontres entre experts des pays concernés par les missiles nucléaires pour définir une nouvelle doctrine à leur sujet ».
Cette suggestion, Isabelle Gravillon la considère comme un moyen de contourner l’obstacle. Dans La Croix du 8 juillet 1989, elle estime que M. Gorbatchev relance ainsi l’Otan :
« L’instigateur du désarmement mondial remet en cause le principe de la dissuasion, qu’il souhaite remplacer par celui de modération. Il pousse plus loin l’offensive et propose une réduction unilatérale du nombre des missiles soviétiques à courte portée dès que s’engageraient des négociations entre l’URSS et les pays de l’Otan. Position incompatible avec celle prise par l’Otan en mai 1989 à Bruxelles et qui conditionne toute négociation sur les missiles tactiques à la conclusion d’un accord préalable sur les armements conventionnels. Mais optimiste, le numéro un soviétique propose de contourner l’obstacle en réunissant des experts… ».
Il y avait dans le discours de M. Gorbatchev d’autres allusions qui auraient mérité d’être décortiquées, comme la substitution de la doctrine de la modération à celle de la dissuasion. Il semble qu’à force de relancer les mêmes arguments sous des formes variées, le président soviétique perde l’effet incisif qui fit sa force au départ. Les commentateurs se lassent de s’en tenir aux redites, ils ont le sentiment d’avoir affaire à de fausses manœuvres.
Six semaines après cette intervention devant le Conseil de l’Europe, l’Union soviétique prenait l’initiative d’intervenir diplomatiquement au Liban, alors que des unités de la flotte française étaient dépêchées sur les lieux. Cette décision a été généralement approuvée, sans toutefois que nos confrères s’appliquent à fournir des explications ou des supputations sur sa portée. Il faut attendre le 25 août 1989 pour que Roger Gehchan, dans La Croix, éclaire ses lecteurs sur cette mission :
« À la lumière de la déclaration du Conseil de sécurité des Nations unies adoptée la semaine dernière, on voit dans la mission des bâtiments de guerre français le volet militaire des efforts internationaux visant à empêcher une éventuelle percée des troupes syriennes et de leurs alliés, et à instaurer enfin un strict cessez-le-feu ainsi que la levée du blocus. Ce qui permettrait de réactiver la mission du comité arabe chargé de trouver une solution à la crise libanaise. Si les Syriens arrêtaient effectivement les hostilités et levaient le blocus du pays chrétien, ils embarrasseraient le général Aoun et lui ôteraient des mains l’une de ses principales armes politiques, puisqu’il cesserait d’être assiégé et agressé. Mais pris dans l’engrenage de l’affrontement, ils maintiennent leur pression militaire dans le but de provoquer le renversement de l’homme qui entend les chasser du Liban ».
Le lendemain, dans Le Monde, Jacques Amalric, tout en admettant que les explications officielles ne pouvaient qu’être floues (la transparence n’est guère de règle en de telles circonstances), donnait une interprétation plus nuancée de l’événement :
« Le but de l’envoi de la flotte française en Méditerranée orientale était parfaitement clair : c’est alors qu’on avait de bonnes raisons de craindre une offensive généralisée de l’armée syrienne et de ses alliés libanais contre le réduit du général Aoun, que le président de la République a pris la décision d’envoyer plusieurs bâtiments de guerre dans la direction de Beyrouth. Contrairement au mois d’avril 1989, on ne parlait plus cette fois-ci, à l’Élysée ou au ministère de la Défense, de simple mission humanitaire ; M. Mitterrand a préféré utiliser le terme de sauvegarde, qui indique clairement une volonté de préserver un rapport de force, une communauté. Pas question, bien sûr, de débarquer sur les côtes libanaises et de reprendre, au compte de la France, la croisade antisyrienne du général Aoun… En cas d’offensive généralisée, la Syrie risquait de se heurter à une autre difficulté : la volonté de M. Mitterrand d’évacuer les ressortissants français et franco-libanais qui seraient menacés par un tel assaut. Il est bien évident qu’une telle opération de sauvegarde ne pourrait pas se faire en toute quiétude, qu’elle demanderait une importante protection militaire et entraînerait sans doute des affrontements armés. L’importance de la flotte française était justement destinée à souligner la volonté française de ne pas se laisser intimider comme en avril 1989… Nul ne sait encore comment se terminera ce nouvel épisode de la guerre au Liban. Il n’en demeure pas moins que l’envoi de la flotte française a sans doute eu pour conséquence de faire réfléchir Damas à un moment où les réactions de la communauté internationale étaient inexistantes ». ♦