Afrique - Sahara : le référendum impossible ?
Depuis son arrivée à la tête du secrétariat général des Nations unies, Boutros Boutros-Ghali s’est efforcé, non sans difficultés, de relancer et de faire avancer le processus engagé par son prédécesseur pour l’organisation d’un référendum d’autodétermination au Sahara occidental.
Ce processus avait notablement progressé entre 1988 et 1991. En effet, en août 1988, le Maroc et le Polisario acceptaient le plan de paix proposé par le secrétaire général de l’ONU de l’époque, Javiez Perez de Cuellar, qui prévoyait l’instauration d’un cessez-le-feu ouvrant une période transitoire, pendant laquelle le territoire serait placé sous surveillance onusienne. Il préconisait également une réduction des effectifs militaires marocains présents au Sahara et le cantonnement des troupes des deux camps dans des lieux désignés par les Nations unies, ainsi qu’un échange de prisonniers. Parallèlement, une commission des Nations unies devait élaborer une liste électorale sur la base du recensement effectué en 1974 par les Espagnols. Malgré quelques réserves formulées explicitement par les Marocains, Rabat avait alors accepté le déclenchement de l’opération.
Un cessez-le-feu fut proclamé le 6 septembre 1991. La force des Nations unies, baptisée Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (Minurso), était créée, et plusieurs centaines de ses membres ont commencé à s’installer au Sahara à partir de septembre 1991. Il était prévu que cette force devait être constituée de plusieurs milliers d’hommes, composée d’une unité civile, d’une unité de sécurité (police) et d’une unité militaire. Quelques violations du cessez-le-feu, qualifiées de mineures par Perez de Cuellar, se sont produites, mais qui n’ont pas remis en cause l’accord global sur le processus onusien.
Pourtant celui-ci s’est sérieusement enlisé et jusqu’aux efforts de relance répétés, déployés par Boutros Boutros-Ghali, notamment sa tournée dans la région en mai 1993, rien n’a vraiment avancé et le référendum d’autodétermination n’a toujours pas eu lieu, à tel point qu’après une période d’optimisme au sein de la communauté internationale qui a largement soutenu le plan onusien, on a pu constater une multiplication des inquiétudes et du scepticisme sur les chances d’aboutir enfin à une solution permettant de résoudre ce conflit dans des conditions acceptables.
Le point d’achoppement à l’origine de cet enlisement porte sur la constitution des listes électorales. Le plan de paix prévoit que la commission spéciale des Nations unies est chargée d’identifier les électeurs sahraouis sur la base du recensement de 1974. D’accord sur le principe, le Maroc et le Polisario en ont une interprétation différente. Ce dernier tient à ce que la liste électorale ne soit qu’une simple remise à jour du recensement espagnol. Rabat souhaite obtenir la prise en compte des Sahraouis déplacés depuis la période coloniale et qui n’avaient pas été décomptés en 1974. Plusieurs tentatives de compromis entre les deux positions ont échoué, et en décembre 1991 Javiez Perez de Cuellar proposait au Conseil de sécurité une formule d’élargissement du corps électoral sahraoui, proposition qui était immédiatement et catégoriquement rejetée par le Polisario.
Face à cet enlisement, les membres du Conseil de sécurité et le secrétaire général des Nations unies ont, depuis, manifesté clairement leur mécontentement et leur impatience. En janvier 1993, Boutros Boutros-Ghali expliquait qu’à propos du Sahara occidental, l’ONU subissait une forte pression des États-membres qui constataient que les premiers effectifs de la Minurso avaient à l’origine été envoyés pour une période de 2 mois, et qu’ils étaient déployés de fait depuis plus de douze mois à ne rien faire. Le secrétaire général qualifiait cette opération de paix de gâchis et déclarait : « Nous nous occupons d’une vingtaine de cas dans le monde en ce moment. Or, pour le Sahara, le Conseil de sécurité ressent une certaine lassitude, les dossiers traînent, les opérations coûtent cher… Quand l’ONU dépense 300 millions de dollars pour une opération qui échoue, elle le fait aux dépens d’autres interventions. Donc, si les deux protagonistes ne veulent pas avoir la sagesse de trouver une solution, autant aller aider ailleurs… ».
Fin février 1993, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité se mettaient d’accord pour fixer un délai de trois mois aux parties pour trouver un terrain d’entente. Ils invitaient le secrétaire général à intensifier les négociations et à présenter au plus tard en mai 1993 un rapport sur le résultat de ses efforts, en particulier sur le problème des critères d’identification des électeurs. Les cinq membres permanents estimaient enfin que le référendum d’autodétermination devait avoir lieu « au plus tard avant la fin de l’année 1993 ».
Si aucun résultat ne devait être obtenu dans ce délai de trois mois, le Conseil serait obligé de choisir entre deux options : soit accepter sans trop d’illusions la poursuite des négociations diplomatiques au risque d’accentuer irrémédiablement l’enlisement du processus ; soit décider d’organiser le référendum sans l’accord de l’une des parties, ce qu’il a souhaité éviter de faire jusqu’à présent.
Dans ce contexte, le Maroc se retrouve sans aucun doute dans une position avantageuse. Sa situation à tous points de vue dans cette affaire s’est considérablement améliorée depuis 1981, époque à laquelle il avait accepté le principe d’un référendum. Sur le plan militaire, il s’est clairement imposé. Sur le plan diplomatique, il a manœuvré avec une grande habileté, parvenant d’une part à affaiblir les soutiens dont bénéficiait le Polisario, et d’autre part, en particulier à l’occasion de la guerre du Golfe, à profiter d’un appui plus net de la part des États-Unis, de nombreux pays occidentaux et des pays arabes modérés.
Sur le plan intérieur, fort du soutien unanime des forces politiques marocaines sur ce dossier du Sahara, le roi Hassan II a également marqué de nouveaux points en incluant les « provinces sahariennes » dans le processus électoral annoncé le 3 mars 1992 dans son discours du trône. Si le référendum ne devait pas avoir lieu, il a ouvert la porte à une éventuelle solution négociée directement avec les Sahraouis, qui reposerait sur l’idée qu’une fois acquise définitivement la « marocanité » du Sahara, Rabat pourrait concéder un statut d’autonomie assez large à la province.
De son côté, l’Algérie se trouve totalement paralysée par ses difficultés intérieures et continue en fait à souhaiter une solution au conflit du Sahara qui puisse permettre une amélioration de ses relations avec le Maroc. L’arrivée au pouvoir de Mohamed Boudiaf avait suscité du côté marocain d’incontestables espoirs pour le règlement de ce conflit. « Concernant le règlement de la question du Sahara occidental, il existe le plan de l’ONU, mais si la confiance est rétablie entre l’Algérie et le Maroc, et si se confirment leurs bonnes intentions, il faut s’attendre à des résultats rapides dans ce domaine », avait clairement indiqué en mars 1992 le président algérien assassiné. Depuis la mort de celui-ci, l’évolution des relations algéro-marocaines n’a pas confirmé ces espoirs et a contribué, au contraire, au ralentissement du processus onusien.
Le Polisario continue de batailler ferme pour faire valoir son point de vue, mais cette bataille paraît, en l’état actuel des choses, désespérée. Sa lutte avait commencé il y a vingt ans, en mai 1973, par l’attaque d’une poignée d’hommes d’un poste militaire situé à El Khanga. En quelques années, bénéficiant de nombreux soutiens militaires, en particulier algériens et libyens, le Polisario était parvenu à mettre en difficulté les forces marocaines, contraignant le Royaume chérifien à mobiliser d’énormes moyens et à s’engager dans une guerre d’une grande ampleur et fort coûteuse. Politiquement, en créant le 27 février 1976, la République arabe sahraouie démocratique (RASD), le mouvement était également parvenu à obtenir d’importants succès. De 1976 à 1990, la RASD a réussi à obtenir la reconnaissance de 73 États. En 1976, elle avait été admise comme 51e État de l’Organisation de l’unité africaine (OUA). Quand elle a commencé à siéger à l’OUA en 1984, le Maroc, membre fondateur de l’Organisation, s’en était retiré.
Depuis, le Polisario a totalement perdu l’avantage sur le plan militaire, notamment en raison de l’édification du réseau de murs de défense par les Marocains. Il a été politiquement affaibli par une série importante de défections de nombreux de ses dirigeants, qui se sont ralliés au Maroc.
Depuis le lancement du plan de paix onusien, la plupart des pays qui lui apportaient leur soutien diplomatique ont adopté une attitude de retrait, manifestant officiellement leur entière adhésion au projet de référendum tel qu’il a été adopté par les Nations unies.
Dans sa situation actuelle, le Polisario ne peut espérer aucune concession significative de la part du Maroc sur les modalités de constitution de la liste électorale. Si, à l’issue de la relance du processus tentée par Boutros Boutros-Ghali en mai 1993, aucun déblocage n’a lieu, les chances d’organiser un référendum diminueront sensiblement. Dès lors que le temps joue en faveur du Maroc et que toute solution négociée directement et en dehors du processus onusien ne peut que reposer sur le postulat de la « marocanité » du Sahara, le Polisario aura sans doute laissé passer une occasion exceptionnelle de profiter du parrainage de l’ONU pour trouver une issue acceptable par tous à ce conflit. ♦