Relations internationales
Le métier, dur mais lucratif, de rédacteur de notes de lecture pour la revue Défense Nationale amène à compulser nombre d’ouvrages traitant de géopolitique. Prétendre présenter les relations internationales en deux tomes allant du particulier au général (« Questions régionales » : « Questions mondiales ») sur 600 pages de format réduit, alors qu’il serait sans nul doute plus facile de le faire sur 6 000, est la marque d’un effort digne de louanges. Moreau Defarges, qui n’est pas un débutant, a certainement dû tailler impitoyablement dans son abondante documentation, où figurent d’ailleurs plusieurs de ses propres productions.
La mission est remplie avec le maximum de clarté et le minimum de répétitions. Au contact de ce fonds considérable où il y aurait tant à citer, nous avons particulièrement apprécié trois éminentes qualités : la première est l’aisance dans la synthèse, que ce soit dans des descriptions enlevées (présentation du Proche-Orient ou nivellement des hiérarchies par le canal de l’ONU), dans des raccourcis historiques brillants (la coexistence pacifique ou l’intégration du Royaume-Uni dans la Communauté européenne) ou encore dans des parallèles cursifs entre époques, régimes ou États (Allemagne-Japon ou politiques de Carter et de Reagan vis-à-vis de l’Amérique centrale) ; la deuxième qualité est le soin dans la rédaction, émaillée de formules heureuses (la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe – CSCE – « machine à négocier des textes » ou cette notion d’« intervalle de décence » à respecter entre deux virages diplomatiques), sans pour autant recherche du bon mot, guère de mise dans le contexte ; la troisième enfin est l’objectivité, qu’il s’agisse de l’attitude des Présidents français successifs, de l’Afrique du Sud, et de beaucoup d’autres sujets à propos desquels il arrive aux plus savants professeurs de laisser percer le bout de l’oreille.
Ainsi, chaque fois que les événements précipités et inattendus qui forment la trame de l’histoire contemporaine permettent un tant soit peu de recul, l’auteur pose des questions pertinentes et leur apporte des réponses motivées et nuancées, quitte à déboucher sur d’autres interrogations. Quelle belle occasion par exemple de se rendre compte du chemin parcouru depuis les années 1970 lorsque, avec les crises pétrolières, la débâcle saïgonnaise, le développement de la flotte soviétique, les excès de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced)… on était loin du triomphalisme du Golfe.
Les deux volumes sont articulés en chapitres, précédés le plus souvent de chronologies très complètes (trop ? Ne faudrait-il pas élaguer ?), complétés par des citations bien choisies et des encarts récapitulatifs. Le premier volume comporte des « agrandissements », sur la construction européenne ou sur le conflit palestinien. Le second, où l’on retrouve beaucoup des domaines déjà abordés précédemment (car la distinction entre les deux est assez artificielle) recoupe le premier horizontalement en présentant de grands thèmes ; nous avons trouvé le chapitre II de ce second volume un peu ardu, malgré de très intéressantes réflexions (« la lutte est due non aux différences entre les États, mais à leurs similitudes ») ; nous avons beaucoup aimé le chapitre V sur le contrôle des ressources et des espaces (peut-être par paresse, parce que la lecture en est plus facile !).
Chaque couverture est illustrée par un croquis circumpolaire de l’hémisphère Nord. L’Irlande y est soudée à la Grande-Bretagne, le Bosphore est démesurément élargi et le Danemark devient « sénestrogyre ». Sur le second tome, l’île Southampton a disparu et toutes les terres ont changé de couleur sauf Kiou Siou [Kyûshû].
Tout porte à croire que ce jeu des erreurs est un effet de l’art moderne et ne résulte pas d’arrière-pensées machiavéliques de l’auteur dont nous avons loué l’impartialité.
Procurez-vous cette paire de petits livres de la série « Essais » qui comporte déjà d’autres excellentes signatures. Vous ne passerez pas la nuit dessus pour savoir qui a tué (il y en aurait trop !) mais vous disposerez, sous un aspect modeste, d’une étude solide, actuelle et « fiable ». ♦