Afrique - Qu'en est-il du processus de paix au Mozambique ?
Les premières élections libres au Mozambique doivent se dérouler les 27 et 28 octobre 1994. Ce pays, d’un peu plus de 15 millions d’habitants et qui s’étend sur 784 000 kilomètres carrés aux frontières de la Tanzanie, du Malawi, de la Zambie, du Zimbabwe, du Swaziland et de l’Afrique du Sud, disposant de 2 470 km de côtes sur l’océan Indien, sort à peine de 18 ans de guerre civile. Ancienne colonie portugaise, indépendant depuis juin 1975, il a vu s’opposer le régime marxiste-léniniste (officiellement jusqu’en juillet 1989) issu du Front de libération du Mozambique (FRELIMO), à la Résistance nationale du Mozambique (RENAMO), dirigée depuis 1979 par Alfonso Dhlakama et créée au moment de l’indépendance. Plus d’un million de morts, 2 millions de personnes déplacées, un pays sans infrastructures et économiquement ruiné, devenu l’un des plus pauvres du monde : tel est le bilan de cette guerre civile, qui s’est achevée par un accord de paix signé à Rome en octobre 1992, et dont la mise en œuvre repose beaucoup sur le soutien des Nations unies. Celles-ci ont mis en place, en décembre 1992, l’Opération des Nations unies au Mozambique (Onumoz) qui comprend le déploiement de 7 000 hommes, dont le mandat doit durer jusqu’au 15 novembre 1994, et qui coûte environ 290 millions de dollars par an (22 États contributeurs).
L’échec du plan de paix appliqué en Angola avait en grande partie résulté de l’impossibilité de faire aboutir dans les délais les programmes prévus concernant le cessez-le-feu, la démobilisation et le désarmement des combattants des deux parties, et la création d’une nouvelle force armée nationale, professionnalisée et politiquement neutre. Les leçons de l’échec angolais sont devenues pour tous les acteurs concernés par le processus de paix au Mozambique une véritable obsession. Aussi des efforts notables ont-ils été déployés dans la mise en œuvre du volet militaire de l’accord de Rome. Ce volet prévoyait les points suivants :
• Les nouvelles forces armées du pays, les Forces armées de défense du Mozambique (FADM) doivent se composer de 30 000 h provenant à parts égales des deux belligérants.
• Les troupes rebelles et gouvernementales devaient se rassembler dans 49 points de cantonnement dans le pays dans un délai d’un mois après la ratification des accords, sous la surveillance des Nations unies.
• Toutes les armes devaient être remises aux Nations unies et le démantèlement des groupes armés devait intervenir dans un délai de six mois.
• Les troupes zimbabwéennes, qui gardaient les deux couloirs stratégiques entre leur pays enclavé et les ports mozambicains, devaient se retirer dans un délai d’un mois. Ces troupes, présentes depuis le début des années 1980 au Mozambique (jusqu’à 20 000 h) avaient à la fois préservé les accès à la mer du Zimbabwe et apporté un soutien au FRELIMO, qui avait aidé les nationalistes zimbabwéens dans leur lutte contre le pouvoir blanc rhodésien au cours des années 1970. Ces troupes se sont finalement retirées en avril 1993.
La réalisation de ces objectifs aura été longue et difficile. Deux dispositifs ont été mis en place, l’un pour la démobilisation des troupes, l’autre pour la réinsertion des combattants démobilisés. L’opération de démobilisation réalisée par l’Onumoz a été pilotée par une commission de supervision et de contrôle et une unité technique composée d’un coordinateur général assisté d’experts. Son coût a été estimé à environ 60 M de dollars, alors qu’à titre de comparaison, le budget militaire du pays s’est élevé à environ 120 M$ par an en moyenne depuis le début des années 1990. L’opération de réinsertion a été gelée par une commission rassemblant les départements ministériels concernés et présente dans toutes les provinces. Son travail a consisté à contrôler le retour des soldats à la vie civile et à informer tous ceux (ONG, entreprises, etc.) qui sont susceptibles de participer à cette réinsertion. Aucun des délais prévus par les accords de Rome n’a en fait été respecté. Les parties concernées, et surtout la RENAMO, ont manifesté une méfiance systématique dans le déroulement du processus de démobilisation qui en septembre 1994, à la veille des élections, n’était toujours pas achevé. Les difficultés rencontrées ont été nombreuses.
Les retards accumulés ont mis en cause la crédibilité du processus auprès des combattants. Ceux-ci sont par exemple souvent restés plusieurs mois dans les points de cantonnement sans savoir ce qu’ils allaient devenir. Au départ, on avait estimé à environ 100 000 les troupes gouvernementales et à quelque 11 000 h celles de la RENAMO. Dans un second temps on a fixé à 61 000 les effectifs des forces armées et à 25 000 à 30 000 ceux des opposants armés. Puis, on a dénombré 61 638 h de l’armée régulière et 21 000 de la RENAMO. En août 1994, on avait enregistré dans les points de cantonnement 49 638 h des forces armées et 18 241 de la RENAMO. Ces indications sont très significatives : elles montrent combien il est difficile, dans ce genre de situation, de prévoir avec précision la réalisation d’une opération de démobilisation, qui est déjà en elle-même complexe. Elles donnent aussi la mesure des risques encourus : désertions, armes cachées, dissimulations calculées par les parties pour préserver une capacité d’intervention, etc. Autre exemple : en août 1994, la RENAMO, qui a alors officiellement dissous sa guérilla, a décidé de ne pas livrer à l’ONU son système de télécommunication que les experts considèrent comme assez perfectionné. Or, il est évident qu’en cas de crise politique après les élections, un tel système serait décisif pour le rappel des anciennes forces de guérilla.
En août 1994, on constatait de nombreuses actions de mutinerie : des prises d’otages, des routes bloquées, et même la révolte d’un bataillon d’élite de la brigade blindée qui s’est déployée avec ses chars dans la banlieue de Maputo, la capitale. De telles incertitudes constituaient de réelles menaces pour l’avenir du processus de paix au Mozambique, rendant toujours possible la reprise de la guerre civile ; d’autant plus qu’à cette date, les effectifs de la nouvelle force armée n’atteignaient pas encore 10 000 h. Sachant que ceux-ci sont recrutés sur la base du volontariat, on mesure là encore l’ampleur des risques, à un tel niveau d’effectifs et alors que, même si depuis la fin août les FADM sont les seules forces reconnues dans le pays, on sait qu’elles ne sont pas opérationnelles, malgré les débuts de formation reçue. De fait, pour prévenir ces risques, l’Onumoz gardera jusqu’à la fin de son mandat le contrôle de tous les armements lourds du pays, qu’elle remettra aux FADM quand sa mission sera achevée. À cette échéance, la nouvelle armée aura-t-elle acquis un minimum de crédibilité et sera-t-elle en mesure de gérer ces équipements et de maintenir l’ordre interne sous le contrôle du nouveau gouvernement issu des urnes ? Reste à savoir aussi si la communauté internationale considère que le processus de paix au Mozambique doit à tout prix aboutir et que, dans ces conditions, la mise en place de forces armées efficaces mérite un effort particulier. « L’avenir de ces forces armées, expliquait en août 1944 un responsable de l’ONU, dépendra fortement de l’intérêt de la communauté internationale à l’équiper et à l’entraîner, dans le cadre d’accords bilatéraux ».
Autre problème majeur pour la sécurité du pays : celui des mines. Fin 1992, on dénombrait 2 M de mines (28 types antipersonnel et 19 antichars) dans le pays, de toutes origines (soviétique, chinoise, européenne, américaine, etc.), posées par les Portugais, les Tanzaniens, les Sud-Africains, les forces de la RENAMO et les troupes gouvernementales depuis les années 1970. L’Onumoz a mis en place un dispositif de déminage, et même créé une école de déminage. Pour résoudre ce problème, on estime qu’il faudra mobiliser une somme de 40 M $ au moins et attendre une dizaine d’années avant d’aboutir. De fait, un retard notable a été pris dans ce domaine, en raison des réticences de la RENAMO à laisser déminer les voies d’accès aux zones qu’elle contrôle, craignant de perdre à jamais ses positions.
Il existe actuellement en Afrique une dizaine de pays dans lesquels un processus de restructuration des forces armées, basé sur le principe de la réduction et de la professionnalisation des effectifs, est engagé. Des opérations techniquement et politiquement délicates de démobilisation et de réinsertion des personnels militaires ont été mises en œuvre. Outre l’Angola, où l’on sait qu’un tel programme n’a pas pu être achevé, et le Mozambique, des pays tels que la Namibie, l’Ouganda, le Tchad, le Zimbabwe, sont engagés dans de tels processus. Plusieurs autres s’y intéressent de près. Les bailleurs de fonds, et notamment la Banque mondiale, se sont mobilisés et apportent leur concours. Le résultat des opérations en cours au Mozambique sera à cet égard un test décisif, même si on sait que, outre les incertitudes déjà évoquées, certains points faibles du programme, en particulier l’absence d’aides matérielles et financières à la réinsertion, l’absence de plan de retraites anticipées ou de pensions (une allocation de démobilisation de 12 $ par mois et par soldat pendant six mois a seulement été accordée aux militaires de conscription ayant plus de trois années de service) pourraient hypothéquer la réussite du plan. Quoi qu’il en soit, ces programmes, aussi imparfaits et parfois contestables soient-ils, constituent aujourd’hui une des voies les plus intéressantes pour assainir des situations de conflit interne et produire une nouvelle génération d’armées africaines compatibles avec des États de droit.
La réussite du processus de paix au Mozambique sera aussi décisive pour la crédibilité des nouveaux engagements politico-militaires des Nations unies dans l’après-guerre froide. Un succès redonnerait sans aucun doute à l’Organisation, aussi bien qu’aux États-membres soucieux de jouer un rôle dans le domaine de la sécurité internationale et inquiets des enlisements et des dérapages des opérations onusiennes en cours, quelques raisons de ne pas renoncer trop vite à leurs efforts.
12 octobre 1994