Défense dans le monde - La Russie et l'Otan
Le 27 mai 1997, « l’Acte fondateur sur les relations mutuelles, la coopération et la sécurité entre l’Otan et la Russie » était signé à Paris. Héritier du projet de charte, l’Acte établit les relations de sécurité entre l’Alliance atlantique et la Russie.
Les compensations économiques à envisager et le cadre des compromis avaient été définis dès la rencontre américano-russe d’Helsinki, les 20 et 21 mars 1997 ; les points litigieux avaient été réglés soit par des décisions antérieures à la négociation (la question des armes nucléaires avait fait l’objet en décembre 1996 d’une déclaration de retenue unilatérale de l’Alliance et celle des infrastructures de l’Otan sur le territoire des nouveaux membres avait aussi été traitée par une déclaration de l’Alliance en mars 1997), soit par renvoi à des négociations ultérieures (domaines concrets de coopération militaire entre l’Otan et la Russie, plafonds de forces auxquels auront droit les États européens) ; la négociation a donc été plus politique que militaire.
Les résultats de la négociation
L’Alliance et la Russie peuvent, à bon droit, estimer avoir atteint leurs objectifs de négociation. Pour l’Alliance, il s’agissait de dégager les conditions permettant de mener à bien son élargissement vers l’Est sans engagement formel de sa part. De fait, l’accord n’a été signé que par les chefs d’État et de gouvernement et ne sera pas ratifié par les Parlements. Il s’agit donc plus d’une déclaration politique que d’un traité juridiquement contraignant. À ce titre, les engagements qu’il contient sont réputés révocables et ne tirent pas de traites sur l’avenir de l’Alliance atlantique.
Conformément aux souhaits des dirigeants militaires de l’Alliance, le champ de la coopération militaire avec la Russie connaît une extension théorique notable. Jusqu’ici, à la grande frustration de l’Otan, les Russes s’étaient toujours montrés rétifs à s’engager dans un travail en commun régulier et suivi avec l’Otan. Les efforts faits au sein du Partenariat pour la paix ont toujours été vains. Cet Acte offre une vaste palette de possibilités, sensiblement plus large, notamment dans le domaine aérien, que ce que la Russie avait accepté jusqu’à maintenant. Il est vrai aussi que la création concomitante du Conseil de partenariat euroatlantique, auquel la Russie pourra participer, contribue à renforcer les raisons d’optimisme des dirigeants de l’Otan sur la coopération militaire avec ce pays.
La Russie attendait de cette négociation des avantages politiques : elle estime avoir obtenu le maximum. En les faisant inclure dans l’accord, Moscou contractualise les déclarations de l’Alliance relatives au stationnement d’armes nucléaires et au déploiement d’infrastructures sur le territoire des nouveaux membres. Les garanties ainsi obtenues sont sérieuses. Non seulement la matérialisation concrète de l’appartenance à l’Otan des anciens satellites russes sera réduite au strict minimum, mais l’élargissement n’apportera que des conséquences militaires limitées. La veille de la signature de l’Acte, lors d’une conférence de presse, le porte-parole du président russe estimait que Moscou était parvenu à arrêter la progression de la machine de guerre de l’Alliance vers les frontières de la Russie et, dans le domaine nucléaire par exemple, à la bloquer. La création du Conseil Otan-Russie et surtout la coprésidence accordée à cette dernière institutionnalisent le fait que la Russie est désormais un partenaire de l’Alliance. Elles montrent aussi la place privilégiée attribuée à ce pays parmi les États extérieurs à l’Alliance.
La négociation se poursuit à Vienne où, pour la modernisation du traité sur les forces conventionnelles en Europe, il va s’agir de fixer les plafonds de forces auxquels les États européens auront droit. La Russie va chercher à obtenir une limitation globale des forces de l’Alliance quelle que soit, par ailleurs, sa composition, tandis que les Occidentaux chercheront à garder des souplesses suffisantes tant pour déplacer leurs unités sur le territoire de l’Otan que pour conserver, nationalement, des volumes de forces encore significatifs.
Les enseignements
Moscou et Washington ont été les protagonistes de la négociation. C’est à l’aune de leurs réactions que l’intérêt de cet Acte doit être jugé.
La position des États-Unis n’est pas encore totalement déterminée sur le sens qu’ils entendent donner à cet Acte. Le document interprétatif qu’ils ont fait circuler dès avant sa signature témoigne de leurs appréhensions face aux conséquences, difficiles aujourd’hui à mesurer, de la place éminente accordée à la Russie dans le concert européen.
L’acceptation de la négociation par la Russie montre que ce pays a perçu la mutation fondamentale de l’Otan. Bien que le nom demeure, la nature de celle-ci n’a plus rien à voir avec celle des années 80. L’Otan est devenue une organisation de sécurité à l’intérieur de laquelle seront établis les équilibres européens. À ce titre, elle a vocation à s’étendre à la totalité du continent, voire au-delà. Dans une optique de défense bien comprise de ses propres intérêts, la Russie ne veut pas rester à l’extérieur de ce mécanisme politique en cours de création : elle a donc franchi le pas. Son statut particulier d’ex-grande puissance et d’acolyte nécessaire des États-Unis pour entretenir le dialogue stratégique l’a dispensée d’une présence dans le dispositif militaire de l’Otan. Pour autant, elle n’a pas voulu se lier définitivement les mains en donnant l’impression d’accepter le principe de l’élargissement de l’Otan. L’Acte de Paris ne vaut que pour la première étape. C’est le sens qu’il faut attribuer à la déclaration du président Eltsine du 19 mai sur la nécessité de revoir les relations de son pays avec l’Alliance en cas de nouvel élargissement.
Il appartiendra aux Européens de l’Otan de définir l’usage qu’ils veulent faire de cet Acte. Son contenu, s’il établit le contexte global des relations entre l’Otan et la Russie, laisse aux Européens une réelle marge d’appréciation. Les relations qui s’établiront ainsi seront-elles toujours conformes aux nécessités de la construction, notamment de l’Europe de la défense ? Les membres européens de l’Otan ne devront-ils pas faire face à une approche russe qui rejoindrait celle des États-Unis tendant à limiter l’envergure politique de l’Europe ? Autant de questions portées en filigrane par l’Acte fondateur et à la solution desquelles, en raison de son statut actuel dans l’Alliance, la France ne pourra pas participer pleinement.
Premières retombées
En même temps que la négociation de cet Acte, l’Otan menait avec l’Ukraine des discussions sur une « charte spécifique ». L’établissement de relations entre Kiev et l’Otan, avec la perspective finale, tout au moins pour l’Ukraine, d’une adhésion à l’Otan, ne laissait pas Moscou indifférent. D’une part, il ne lui était pas possible d’accepter que les Ukrainiens aient avec l’Alliance de meilleures relations qu’avec la Russie, d’autre part, au moment de l’assainissement des relations de celle-ci avec l’Otan, les liens russo-ukrainiens ne pouvaient pas rester à la traîne. En conséquence, les Russes décidaient de normaliser leurs relations militaires avec l’Ukraine sur le partage de la flotte de la mer Noire et l’occupation de bases dans la région de Sébastopol. Ainsi, le 26 mai, les représentants des deux pays entérinaient des accords techniques tandis que, le 31 mai, M. Eltsine signait à Kiev un traité d’amitié et de coopération avec le président Koutchma. Dans cette région de l’Europe, la partie à trois qui se joue entre l’Otan, la Russie et l’Ukraine promet d’être longue.
Le jour même de la signature de l’Acte Otan-Russie, se réunissaient à Tallinn les dirigeants d’Estonie, de Lettonie, de Lituanie, d’Ukraine et de Pologne. Il s’agissait de débattre des conséquences pour la région de l’accord entre la Russie et l’Otan. Le communiqué final met l’accent sur l’intérêt de la coopération régionale et le rôle bénéfique pour cette partie du continent de l’Acte Otan-Russie. Il n’y est cependant pas fait état de perspectives de coopération avec la Russie, alors que les signataires rappellent le caractère ouvert de l’Alliance atlantique et la nécessité de poursuivre son élargissement.
Les réactions enregistrées du côté du MSZ, ministère polonais des Affaires étrangères, montrent une Pologne réticente à s’engager dans cet exercice. Deux arguments peuvent l’expliquer : au moment de l’entrée dans la dernière ligne droite des négociations d’adhésion à l’Otan, Varsovie a-t-il intérêt, ou les moyens, d’être impliqué à l’Est comme à l’Ouest ? La Pologne ne serait-elle pas, pour l’heure, plus à l’aise dans un faisceau de relations bilatérales que dans un seul forum multilatéral ?
En conclusion, l’Acte fondateur Otan-Russie a assaini les relations stratégiques à l’est de l’Europe. Il reste que les équilibres régionaux vont devoir s’y adapter et que cet Acte vaudra plus par l’usage qui en sera fait, notamment au Conseil Otan-Russie, que par les principes qu’il affirme.
16 juin 1997