Afrique - Angola : qu'en est-il du processus de paix ?
Depuis la signature en novembre 1994 du protocole de paix de Lusaka qui devait permettre d’achever le processus de paix en Angola, on constate mois après mois, malgré quelques progrès, les énormes difficultés rencontrées par ce pays de 1 246 700 kilomètres carrés, peuplé de 11 millions d’habitants et richement doté en pétrole, pour stabiliser de manière durable sa situation politico-militaire et tourner définitivement la page de vingt années de guerre civile.
Après de longs mois de discussions au cours desquels il est clairement apparu que le climat de méfiance entre le régime de Luanda et l’Unita de Jonas Savimbi était loin d’avoir été surmonté, les deux parties étaient parvenues début avril 1997 à former enfin le premier gouvernement d’unité nationale de l’histoire du pays. Baptisé gouvernement d’unité et de réconciliation nationale (GURN), ce gouvernement pléthorique de 28 ministres, un secrétaire d’État et 55 vice-ministres, comprend quatre ministres (Géologie et Mines, Santé, Commerce, Tourisme et Hôtellerie) et 11 vice-ministres issus de l’Unita. Ce gouvernement pour le moins symbolique, qui a laissé de côté le problème de la position politique personnelle du chef de l’Unita Jonas Savimbi, devait diriger le pays pendant au moins deux années, jusqu’à la tenue de nouvelles élections, et surtout se mobiliser pour achever la mise en œuvre du processus de paix tel qu’il avait été défini à Lusaka.
Au cœur de ce processus, figure la constitution d’une nouvelle armée nationale dont les effectifs ont été fixés à 90 000 hommes, dont 23 600 doivent être recrutés dans les troupes de l’Unita qui comptaient selon les experts pas moins de 65 000 hommes. Pour y parvenir, un programme de démobilisation d’environ 100 000 hommes a été lancé. L’ensemble de ces opérations ont été placées sous la surveillance de l’Unavem III, la Mission de vérification de l’Onu en Angola, qui, avec 6 000 à 7 000 casques bleus, aura été l’une des plus grosses opérations de maintien de la paix mises en œuvre par les Nations unies. Le 1er juillet 1997, l’Unavem III a été transformée en Mission d’observation des Nations unies en Angola (Monua), dotée d’effectifs militaires moins importants.
Au total, officiellement, en septembre 1997, 78 000 soldats de l’Unita ont été regroupés dans les centres de cantonnement et désarmés, alors que seulement 11 000 d’entre eux étaient intégrés dans les forces armées nationales, et 28 000 démobilisés et rendus à la vie civile. Au même moment, les experts des Nations unies estimaient à environ 25 000 les ex-soldats de l’Unita qui avaient déserté les camps de cantonnement, et à environ 15 000 le nombre de partisans armés de Savimbi restant encore à démobiliser.
Parallèlement, le volet des accords concernant le rétablissement du contrôle de l’État dans les zones occupées par les troupes de Savimbi n’avait pas progressé de manière satisfaisante. Globalement, malgré la formation d’un gouvernement d’unité nationale, malgré le retour des députés de l’Unita au Parlement et le processus en cours de démobilisation, il est clairement apparu que l’Unita disposait toujours de moyens militaires significatifs, que les accrochages avec les forces armées nationales se poursuivaient épisodiquement. Officieusement, des sources sud-africaines révélaient, en juin 1997, que l’Unita continuait clandestinement à s’approvisionner en matériels militaires grâce à des filières privées venant d’Afrique du Sud et passant par le Mozambique. On révélait par ailleurs, toujours de source officieuse, que les forces armées contrôlées par le régime de Luanda avaient également entrepris de renforcer leurs moyens militaires, en se procurant de nouveaux armements lourds auprès des pays de l’Est.
Derrière ces grandes manœuvres politico-militaires, il apparaît que, d’un côté, l’Unita cherche à préserver son contrôle de certains territoires pour pouvoir maintenir sa mainmise sur l’exploitation très fructueuse du diamant ; de l’autre, le régime angolais, qui a activement soutenu les forces de Laurent-Désiré Kabila et leur installation au pouvoir, cherche à tirer parti de la nouvelle donne géopolitique régionale pour couper l’Unita de ses traditionnelles bases arrière dans l’ex-Zaïre, accroître son isolement, afin de mieux occuper ces fameuses zones diamantifères. L’enjeu de cette bataille est déterminant pour la suite du processus angolais. Il est clair que le trafic du diamant a été la source de financement majeure du mouvement de Jonas Savimbi, et que celle-ci est devenue pour lui d’autant plus importante que ses anciens alliés sud-africains, américains ou zaïrois ne lui apportent plus désormais les soutiens extérieurs qui lui permettraient de peser plus lourd dans le rapport de forces intérieur angolais. De ce fait, il s’agit plus en réalité pour l’Unita, avec cette bataille pour le contrôle des zones diamantifères, d’une tentative de ne pas perdre les derniers atouts qui lui permettent d’établir une position plus avantageuse dans le processus de paix.
En juillet 1997, face à cette situation perçue comme un recul inquiétant de ce processus, le Conseil de sécurité des Nations unies accusait ainsi l’Unita de poursuivre « ses efforts pour reconstituer ses capacités militaires » et constatait que « l’aggravation des tensions dans le Nord du pays s’étendait rapidement aux provinces du Centre et du Sud ». Pour manifester nettement la position de la communauté internationale, le Conseil menaçait l’Unita de sanctions. Fin août 1997, celui-ci décidait d’appliquer celles-ci (interdiction de déplacements à l’étranger des responsables du mouvement et fermeture des bureaux de représentation) dès le 30 septembre, si des mesures « concrètes et irrévocables » pour l’application des accords de Lusaka n’étaient pas prises. Le 20 septembre 1997, Jonas Savimbi déclarait à la presse : « Si des sanctions sont imposées à l’Unita, nous abandonnerons le protocole de paix ». Cependant, l’Unita acceptait l’enregistrement par les Nations unies d’une démobilisation rapide de 3 500 combattants chargés de la sécurité de Savimbi, et parvenait à un accord avec Luanda pour la remise à l’administration de l’État de l’ancienne base aérienne de Negage dans le Nord, sous contrôle des forces de Savimbi. Ces deux concessions significatives ont conduit l’Onu à repousser d’un mois l’application des sanctions.
Luanda avait réussi, ces dernières années, à normaliser ses relations avec les États-Unis (relations diplomatiques rétablies en 1993 et visite à Washington du président Dos Santos en 1995), puis à améliorer ses relations avec l’Afrique du Sud et à obtenir le soutien et des promesses d’aide de la plupart des pays européens. En manœuvrant efficacement lors de la crise zaïroise et de la chute de leur vieil adversaire Mobutu, les Angolais ont marqué un point contre l’Unita, de plus en plus isolée. Le rapport des forces vis-à-vis de Savimbi évolue notablement en leur faveur. La réussite d’un processus de paix fondé à l’origine sur une répartition politique équitable du pouvoir semble bien désormais dépendre plutôt d’une victoire politico-militaire d’un camp sur l’autre. Il restera à mesurer vraiment l’ampleur des retombées de cette évolution sur l’ensemble de la région. ♦