L’Allemagne depuis 1945
Tous ceux qui s’intéressent à l’histoire de l’Allemagne d’après-guerre et à celle de l’Europe soviétisée, ou, plus généralement, aux relations internationales contemporaines, apprécient l’œuvre, déjà importante, de Renata Fritsch-Bournazel, professeur à l’Institut d’études politiques de Paris et directeur de recherches à la Fondation nationale des sciences politiques. Dans ce nouvel ouvrage, elle nous fait profiter de son incomparable expérience personnelle de ces sujets pour analyser en profondeur l’histoire de l’Allemagne depuis 1945, et cela afin d’en tirer des conclusions sur l’avenir de l’« Allemagne européenne », qu’elle appelle de ses vœux. Dans son introduction, elle nous précise d’ailleurs clairement son propos : comparer les passés respectifs des deux Allemagne, puisqu’elles ont été séparées pendant quarante-cinq ans par le « rideau de fer », et cela afin de mieux comprendre les difficultés actuelles et les perspectives à venir, tant de l’Allemagne unifiée que de l’Europe en voie d’unification.
Dans une première partie, notre auteur nous rappelle d’abord la situation de l’Allemagne « occupée » jusqu’en 1949, avec, alors, l’instauration d’un État de droit à l’ouest et la création à l’est de ce qu’on osa appeler une « démocratie populaire » ; et elle souligne comment l’Allemagne va se trouver de la sorte au cœur de la guerre froide. Puis, dans une deuxième partie, elle analyse comment les deux Allemagne ont vécu avec « le mur », et les clivages confessionnels, culturels et politiques qui en ont résulté, au point qu’elles ont pu un moment devenir des « frères ennemis reliés (seulement) par une ville ». Elle évoque ensuite une étape des relations interallemandes qu’elle connaît mieux que quiconque pour avoir pu l’observer de très près, si nous avons bonne mémoire, à savoir celle de l’inauguration de l’Ostpolitik par Willy Brandt. Elle était fondée, nous rappelle-t-elle, sur deux principes : reconnaissance de l’inviolabilité des frontières (mais pas de leur intangibilité), et acceptation d’une « politique interallemande », c’est-à-dire d’un dialogue qui acceptait de facto (mais sans l’entériner) la réalité étatique de l’Allemagne de l’Est. Bien que cette « ouverture à l’Est » ait fait alors peur à la France – c’est nous qui l’ajoutons – puisqu’elle fut, pensons-nous, à l’origine de son acceptation de l’admission de la Grande-Bretagne dans le Marché commun, il faut reconnaître maintenant que, en fait, elle allait dans le même sens que celle de Konrad Adenauer, à savoir remettre à plus tard la réunification, pour qu’elle ait lieu lorsque l’Allemagne fédérale aurait atteint, par son « ancrage à l’Ouest », une position de force, tant dans les domaines économique et stratégique que politique. Elle aboutit ainsi à mettre la RDA sur la défensive, et finalement, dès qu’elle fut lâchée par l’URSS, à son effondrement.
Ces deux parties historiques sont, bien entendu, beaucoup plus détaillées et documentées que nous pouvons le laisser entrevoir ici, d’autant que nous sommes avides d’en arriver au plus tôt à la troisième partie, car elle traite de l’unité de l’Allemagne « en devenir ». L’auteur nous précise d’abord comment s’est opérée l’unification politique et où en est la formation d’une nouvelle identité nationale, puisque « le mur est encore dans les têtes » et que diverge encore « la géographie des valeurs ». C’est sur le dernier chapitre, celui qui traite de l’avenir de l’« Allemagne européenne » que nous voudrions un peu nous arrêter, car, de toute évidence, ses conclusions concernent directement notre propre avenir. Après nous avoir précisé le « statut bien particulier » qui résulte du traité du 12 septembre 1990 sur « le règlement définitif concernant l’Allemagne » et de celui du 9 novembre de la même année concernant « le bon voisinage, le partenariat et la coopération avec l’URSS », qui sera repris plus tard par la Russie, notre auteur affirme sa foi dans le « destin européen de l’Allemagne réunifiée ». Pour elle, en effet, l’Allemagne se réclame désormais de la philosophie qui a présidé à sa réunification, celle du pouvoir d’attraction de l’Occident sur les pays du bloc communiste, pour plaider auprès de ses alliés une « solidarité active » en faveur des pays ex-communistes de l’Europe centrale et orientale. Elle considère aussi que le traité de Maëstricht, en créant l’Union européenne, a effectué « un retour aux sources », puisque, outre l’unité économique et maintenant monétaire, il se donne l’unité politique comme finalité, objectif qui avait été celui des « pères fondateurs », mais qui avait dû être mis de côté après l’abandon de la Communauté européenne de défense.
Pour finir, notre amie analyse avec lucidité, c’est-à-dire sans optimisme excessif, les problèmes que vont poser la nouvelle « ouverture à l’Est », l’« ancrage Atlantique » et l’Ostpolitik de l’après-guerre froide. Dans sa conclusion, elle reprend à son compte la belle formule de Joseph Rovan, alors rescapé des camps de concentration : « Nous aurons l’Allemagne de nos mérites », pour l’appliquer désormais à l’Europe, et elle souligne la « coresponsabilité franco-allemande » à ce sujet. Celle-ci, il faut la conserver à tout prix, c’est nous qui le disons en guise de conclusion, mais elle exige d’une part que l’Allemagne ne redevienne pas arrogante en abusant alors du leadership en Europe que lui concède les États-Unis ; et, du côté français, que nous nous refusions à avoir à nouveau peur de l’Allemagne. La réconciliation franco-allemande a été pour l’auteur de ces lignes un acte de foi depuis longtemps ; elle est devenue maintenant un acte d’espérance. Remercions donc Renata Fritsch-Bournazel de nous avoir apporté son incomparable expérience personnelle pour nous permettre de le formuler. ♦