Afrique majeure
Michel Roussin a acquis une connaissance des problèmes de l’Afrique tout au long d’une vie professionnelle qui l’a plongé au cœur de l’information de ce continent controversé. Successivement directeur de cabinet d’Alexandre de Marenches, le patron du Sdece, très proche collaborateur de Jacques Chirac à la mairie de Paris durant de nombreuses années, ministre de la Coopération d’Édouard Balladur pendant le second septennat de François Mitterrand, responsable aujourd’hui d’une entreprise à vocation internationale, cet ancien officier de gendarmerie a sillonné, au cours d’une centaine de voyages, cette vaste et fascinante contrée qui possède des liens affectifs très étroits avec la France. Dans le livre qu’il nous propose, l’auteur dresse un tableau contrasté de l’évolution de l’Afrique depuis les indépendances et établit un constat objectif de la politique de coopération menée par Paris depuis les années 60. L’esprit de cet ouvrage est d’ailleurs clairement exprimé dans l’introduction : mieux faire comprendre l’Afrique à ceux qui n’ont pas la chance de la connaître, mettre en évidence les atouts d’un continent exceptionnel et refuser l’« afropessimisme », car « l’Afrique a un présent et un avenir qu’il nous appartient, d’un côté comme de l’autre, de rendre meilleurs ».
Économiquement, Michel Roussin constate que la situation connaît des « améliorations notables depuis trois ans ». L’auteur met cependant en garde le lecteur contre les statistiques globales. Ainsi le taux de croissance du PIB par habitant de l’Afrique subsaharienne en 1994 était négatif (– 1,3 %). Toutefois, un tel chiffre ne revêt pas une grande signification puisqu’il recouvre des écarts qui vont de – 47 % à plus de 10 % de croissance. Il existe en effet des pays où la situation est véritablement désespérée ; c’est en particulier le cas de la Somalie, du Rwanda, du Burundi, du Liberia et du Soudan. D’autres États stagnent depuis des décennies, pour des motifs politiques ou économiques, ou encore en raison de faibles ressources naturelles. Ils ne parviennent pas à sortir du marasme. Ce constat concerne encore une grande partie de l’Afrique. À l’intérieur de ce continent qui se cherche, il existe cependant une « Afrique émergente » dans laquelle des nations connaissent une croissance rapide et où certains secteurs économiques se transforment rapidement. Cette Afrique de l’espoir est surtout bâtie autour du « dragon sud-africain » qui possède des atouts économiques exceptionnels et qui est en passe de réussir son extraordinaire défi démocratique. Elle comprend aussi des pays qui ont réussi à progresser (Côte d’Ivoire, Ghana, Namibie, Zimbabwe, Botswana, Ouganda). Pour amplifier ce courant d’optimisme, la France doit continuer à être l’avocate de l’Afrique dans l’Union européenne pour que les marchés de cette dernière s’ouvrent aux produits africains.
Michel Roussin estime que Paris a intérêt à aider certains dirigeants africains qui font preuve d’une grande probité. Parmi ceux-ci, l’ancien ministre de la Coopération mentionne le président du Burkina Faso, Blaise Compaoré. Pour l’auteur, l’ancienne Haute-Volta fait partie de ces pays difficiles, enclavés, « un pays d’éleveurs, d’exploitants agricoles, un pays de colporteurs ». Pour sortir son pays d’une situation désastreuse, le jeune chef d’État burkinabé a entrepris une œuvre de redressement particulièrement courageuse : il s’est rapproché de tous les responsables politiques de la sous-région et a su tisser des liens d’amitié avec d’autres dirigeants prestigieux, comme le roi du Maroc Hassan II. Par ailleurs, le président Compaoré s’est soumis au processus électoral après une longue consultation de tous les partis politiques de son pays. L’auteur ne cache pas son admiration pour cet État dans lequel règne un esprit de tolérance qui permet aux différentes ethnies et religions de cohabiter en harmonie. Aujourd’hui, cette ancienne colonie française est devenue un bon élève des bailleurs de fonds internationaux, tant au plan de la démocratie qu’à celui du libéralisme. Ces bonnes nouvelles augurent un avenir souriant pour cette petite nation qui a particulièrement réussi la dévaluation du franc CFA.
L’ancien ministre du gouvernement de Balladur consacre une place importante à la nouvelle forme de coopération que la France est en train de mettre en place. Depuis quelques années, Paris a largement investi dans « l’éducation et la sécurité » pour protéger les structures des États de droit. C’est dans cette optique que Michel Roussin a ouvert, pour la première fois en 1994, une ligne budgétaire importante pour les projets de sécurité. Ainsi, avec le concours précieux des experts du service de coopération technique international de police (SCTIP), la France a engagé dans quinze États des projets de sécurité urbaine en y affectant plus de 70 millions de francs. Ces entreprises ont abouti à l’organisation de commissariats de quartier, la mise sur pied de services de police judiciaire, la mise en œuvre de programmes de lutte contre la drogue, l’installation à Abidjan d’une antenne d’Interpol, le renforcement des polices des frontières et de la sécurité des aéroports. Toutes ces actions sont déterminantes pour la sûreté des transactions internationales.
L’effort de la coopération française porte également dans le domaine de la santé. Dans ce secteur, de nombreux progrès ont été réalisés, malgré une situation encore très délicate dans certaines contrées. Dans son message d’optimisme, l’auteur prend l’exemple de l’onchocercose, une terrible maladie désignée par l’expression populaire « regard du lion » en raison du regard opaque des patients qui en sont atteints. L’affection est transmise par un ver, inoculé à l’homme par des petits moustiques qui vivent dans les cours d’eau à débit rapide. Les villages implantés sur les rives infestées de ces insectes maudits ont été désertés par les familles terrorisées, certaines imaginant même qu’il s’agissait d’une punition divine. Les régions délaissées étaient souvent les plus riches et les plus fertiles parce que les mieux irriguées (bassin de la Volta, vallées du Niger et de l’Ogoué, région du fleuve Sénégal). Après des années de recherches, un traitement efficace de ce fléau a été mis au point. Sa mise en place a été confiée à une équipe dirigée par le docteur ghanéen Ebrahim Samba et qui compte plus de 500 personnes en majorité africaines (31 nationalités sont représentées). Ce programme audacieux, qui est aujourd’hui « géré par des Africains pour des Africains », est un modèle de développement réussi. Depuis son lancement, le projet a en effet assaini 30 millions d’hectares de terres fécondes. Les conséquences de ce succès sont multiples : la première des retombées du programme de lutte contre l’onchocercose s’appuie sur le fait que plus de 400 Africains ont été formés à l’entomologie, à la santé publique et à l’épidémiologie. Ensuite, l’éradication de cette épouvantable maladie devrait permettre le retour des populations qui avaient fui ces régions fertiles. Le cas du Mali le montre bien : la zone libérée de l’onchocercose atteint près d’un tiers du territoire national. Riche en bonne terre, cette contrée faisait vivre 65 % de la population du pays dans le passé. Valoriser ces terres représente aujourd’hui une nécessité à la fois économique, écologique et humaine.
Cet exemple constitue l’un des nombreux messages d’espoir que le livre de Michel Roussin diffuse aux lecteurs intéressés par les questions africaines. Certains esprits critiques reprocheront certainement à l’ancien ministre de la Coopération de faire preuve d’un excès d’optimisme. Toutefois, la plupart des analystes seront particulièrement sensibles à la passion, souvent teintée d’une touche émotionnelle, avec laquelle l’auteur décrit son expérience à propos d’une Afrique qui est en train de devenir « majeure ». ♦