La commémoration de la Grande Guerre est un enjeu majeur aujourd’hui pour la France au-delà des faits historiques. Elle est essentielle dans un pays, en mal de repères et en proie aux doutes, dont la vision de l’avenir est profondément anxiogène. À l’heure d’un individualisme sans limites et de dérapages communautaristes, le Centenaire peut et doit être l’occasion de regarder avec plus de lucidité notre République et ses valeurs.
Pourquoi et comment commémorer la Grande Guerre ?
How and Why to Commemorate the Great War?
The commemoration of the Great War is a major challenge today for France, beyond the historical facts. It is essential in a country who has lost its bearings and is prey to its doubts, and whose vision of the future is deeply anxiety-inducing. In a time of limitless individualism and community misconduct, the Centennial can and must be the occasion to look at our Republic and its values with more clarity.
Le centenaire de la Grande Guerre, dont le cycle des commémorations a été ouvert à Paris par un défilé militaire du 14 juillet auquel participaient des soldats venus de 76 nations engagées de près ou de loin dans ce conflit européen mondialisé, est l’objet en France d’une attention publique très déterminée et pour tout dire exceptionnelle si, par exemple, on la compare à celle de l’Allemagne. Pour deux raisons. La première tient au fait que le territoire français, de la mer du Nord à la frontière suisse, est resté à l’épicentre du conflit et qu’il a été jalonné par de terribles batailles décisives, de la Somme à la Marne, du Chemin des Dames à Verdun. Les fronts de l’Est, des Balkans, des Alpes, d’Orient ou d’Afrique, sans oublier la guerre sur mer, n’ont jamais accédé à cette souveraineté et le tropisme de « nos » champs de bataille de l’Ouest s’est imposé dès après 1918. Il a nourri la mémoire des anciens combattants et de leurs familles, il a entretenu, étatisé et monumentalisé sur place le culte des morts et, aujourd’hui, sa géographie active un tourisme de mémoire qui s’est progressivement internationalisée, mais dont tous les pèlerins viennent chercher en territoire français – pensons aux Africains, aux Australiens ou aux Néo-Zélandais par exemple – une authenticité nationale du souvenir de leurs propres morts.
La deuxième raison, moins affichée, de cette attention majeure est proprement franco-française, en l’état du pays aujourd’hui. Il n’y a pas lieu d’argumenter ici à ce propos, mais la question est tacitement posée et elle n’a, hélas, rien d’anecdotique ou de convenu : pourquoi, en effet, le souvenir d’un préalable d’union sacrée maintenue vaille que vaille aux pires heures, d’un si long consentement à une horreur inouïe et à un sacrifice si massif au front, pourquoi le rappel aussi d’une victoire finale ne pourraient-ils pas aider la France de 2014 à surmonter sa hantise du déclin, ses doutes, ses divisions et son sentiment d’être menacée ? Il suffit de comparer, sur ce registre, l’écho aujourd’hui de 1214, 1814 ou même 1944 avec celui de 1914 pour légitimer un tel questionnement au nom des grandes heures de péril national.
Une mission nationale
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