Histoire des forces nucléaires françaises depuis 1945
Nous hésiterons d’autant moins à parler de « vulgarisation » à propos de ce petit livre paru dans l’excellente collection « Que sais-je ? », qu’un des auteurs, rencontré il y a peu sur le boulevard, a employé lui-même le terme en l’appliquant à l’ouvrage qu’il avait en chantier.
En quatre chapitres se déroule la geste de cette entreprise ambitieuse, voire un peu folle, consistant à doter une puissance moyenne d’un arsenal nucléaire complet à partir de ses propres forces, même si les « méchants » Américains ont donné quelques coups de main grognons de temps à autre. Les auteurs rendent justice à l’œuvre de la IVe République et aux pionniers comme Félix Gaillard, Ailleret, Rocard (Yves) et une poignée d’autres qui, dans les milieux politiques, militaires et scientifiques préparèrent le terrain. La base était en place lorsqu’arriva de Gaulle qui apporta la volonté politique. En 1960 eut lieu la première explosion ; en 1964 le cadre était tracé, l’organisation définie et les premiers moyens opérationnels : dix ans après, tout était réalisé, y compris les chaînes de commandement et de transmissions. Il restait à moderniser au fur et à mesure des progrès de l’art. Bel ouvrage, preuve de continuité et de capacité dont les étapes, franchies au rythme des lois de programmation, sont décrites ici sans masquer les lacunes, les réticences ni les doutes.
À signaler le passage (p. 72) sur la « stratégie des moyens ». Heureux peuple français que ses dirigeants persuadent constamment, avec talent et non sans motif, que le possible est, par un hasard béni, à la mesure exacte du nécessaire. C’est ainsi qu’au cours des années, la divine Providence a fait que le nombre, pourtant variable, de divisions, de chars d’assaut ou d’avions dont disposaient nos armées était justement au niveau requis. Dans le domaine des forces nucléaires, quel contentement de voir construit un édifice ternaire aussi parfait, reposant sur des armements perfectionnés prêts à l’emploi, la détermination farouche d’un « général-chef d’État » et une théorie de non-emploi élaborée par un « général-écrivain ». Quant au tactique-préstratégique, on ne saurait reprocher aux auteurs un flou qui ne leur est pas imputable, puisqu’après avoir monté un corps de bataille performant à partir de la notion de frappe nucléaire exploitée, on s’est empressé d’enfermer au coffre le moyen essentiel.
Une fois de plus, la preuve est apportée qu’il est possible d’exposer clairement un sujet complexe en peu de pages. Même si les auteurs ont à coup sûr connu les affres consistant à rayer impitoyablement tout ce qui excédait le format imposé, qu’ils soient rassurés ; il y a là un bagage fort utile et somme toute suffisant pour l’honnête homme, jusques et y compris l’éditorialiste, le parlementaire et l’auditeur à l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN). Le recul aidant, qui certes facilite les choses, on ne peut s’empêcher de sourire à la pensée des gigantesques grimoires que nous infligèrent jadis les stratèges pour nous dire ce qui tient ici dans la poche.
Nous sommes situés à un tournant, chacun le sait et là, pas de recul pour en juger ! Après un chapitre V un peu général, le dernier comporte un intéressant coup d’œil vers l’avenir avec quelques pages (114 à 121) qui nous ont paru particulièrement dignes d’attention. Il faut sortir du domaine de l’incantatoire, s’adapter aux nouvelles menaces et au phénomène d’unification européenne, se garder de jeter aux orties une discipline qu’« il n’est plus possible de désinventer » et un arsenal dont il n’est pas prouvé qu’il sera demain superfétatoire.
Comme dans tout livre de marin, il apparaît que la défense du pays repose sur la flotte, complétée à titre accessoire par quelques terriens, aviateurs et gendarmes destinés à faire nombre. Avouons qu’ici la chose se justifie car nos meilleurs moyens, puissants, permanents, indétectables, capables de riposte, résultent d’un double pari, brillamment tenu et réussi, sur le mode de propulsion et sur l’armement. Cela mérite bien un coup de casquette. ♦