Communismes d’Asie : mort ou métamorphose ?
L’origine de ce livre est un colloque sur « Démocratie et stabilité politique en Asie orientale » organisé par le Centre d’études et de recherches internationales (Céri) et l’Institut français des relations internationales (Ifri), le 10 juin 1993. Dans la tourmente qui a emporté la plupart des régimes communistes en Europe, principalement l’URSS, comment se fait-il que quelques-uns subsistent et pourquoi sont-ils tous en Asie, à l’exception de Cuba ? Sous la direction de Jean-Luc Domenach et de François Godement, délaissant le Laos, quatre spécialistes tentent de répondre en ce qui concerne la Chine, le Vietnam, le Cambodge et la Corée du Nord.
À la question posée par le titre de l’ouvrage, le chapitre qui répond le mieux est celui que Jean-Luc Domenach présente en ouverture sous le titre « Une survie énigmatique ». En une vingtaine de pages, sans digression inutile, dans un style clair et précis, le directeur du Céri donne une interprétation convaincante. Pour beaucoup d’Occidentaux, la victoire de l’économie de marché sur l’étatisation et celle de la démocratie sur la dictature communiste sont irréversibles. Pour l’auteur, cette vision est trop simple. En Asie, lieu privilégié de la guerre froide et où les nouveaux pays industrialisés sont les plus dynamiques, les régimes communistes perdurent. Il le met au compte, sans employer ces termes, d’une sorte de doctrine de « l’Asie aux Asiatiques », au nom de laquelle on se supporte dans ses différences. L’Asie communiste est maintenant avant tout soucieuse d’économie, tandis que les régimes démocratiques demeurent bien souvent aux mains d’élites sociales restreintes. On assiste à la mise en place d’un concert régional « où les avantages des uns (les attributs stratégico-diplomatiques) sont équilibrés par ceux des autres (la puissance économique, la capacité d’innovation technologique), ce qui pourrait réduire les occasions de conflits ».
Dans son chapitre consacré à la Chine sous le titre « Chine : la prospérité sans démocratie… ni marché », Jean-Louis Rocca se réfère au passé pour expliquer le présent. Le fonctionnaire d’aujourd’hui, comme celui d’hier, est un mandarin qui doit se « débrouiller » pour remplir, avec pragmatisme, sa charge en employant les mêmes méthodes que ses lointains prédécesseurs. Il est vrai que la politique sous l’empire balançant entre autonomie et autoritarisme, on peut sincèrement trouver que les choses n’ont guère changé. Dans les luttes pour le pouvoir, les idéologies qui s’affrontent ne sont guère que des luttes entre familles, entre clans, entre cliques. Si l’auteur met en garde contre des rapprochements trop systématiques entre l’empire et la République populaire de Chine (RPC), et s’il insiste sur les embûches du pragmatisme, il se garde de répondre à la question posée : le communisme en Chine est-il destiné à mourir ou réussira-t-il à se maintenir en se transformant ?
De ce point de vue, le chapitre de Pierre Brocheux « Vietnam : une sortie à petit pas » apporte une réponse satisfaisante. Les décisions de suivre les traces de la Chine (maintien de la suprématie du Parti communiste, politique de réformes) ne datent que de 1986 avec le plan dit Doi Moi (rénovation, restructuration). Pourquoi ce retard ? À quel point de son parcours est-il parvenu ? Où va-t-il ? Pierre Brocheux répond brièvement mais clairement. Comme les néoconservateurs chinois, les dirigeants vietnamiens, les responsables du Parti communiste vietnamiens (PCV), les succès de la Corée du Sud, de Taïwan et de Singapour sous l’égide de gouvernements autoritaires, montrent que l’ordre et la discipline sont nécessaires à la modernisation économique. Par ailleurs, le PCV garde une légitimité que le temps n’a pas encore effacée et la population n’est pas prête à se lancer dans une aventure politique. Cependant, les réformes économiques s’accompagnent de bien d’autres aspirations culturelles et religieuses, mais dit l’auteur, « si le régime du parti unique peut être contesté et disparaître un jour, ce sera l’aboutissement d’une recomposition de la société plutôt que par un bouleversement politique direct ».
Dans « Le Cambodge livré à lui-même », Christian Lechervy se montre très critique à l’égard des membres de l’Apronuc (Autorité provisoire des Nations unies au Cambodge) qui, sans connaissance profonde de l’âme cambodgienne, veulent dicter aux Khmers ce qui est bon pour eux. Même s’il pense qu’il faut laisser le Cambodge aux Cambodgiens, il craint que le ciel ne soit lent à s’éclaircir. De la capacité du prince Ranariddh à imposer progressivement un vrai partage du pouvoir dépendra l’avenir du régime.
Pour sa part, Nicolas Regaud pose la question « Corée du Nord : vers l’implosion ? » Il trace, tableaux et chiffres à l’appui, un constat terrible de l’état de décomposition de ce régime où tout peut survenir, à l’extérieur comme à l’intérieur. Si Kim Il-sung s’est doté de tous les moyens d’une brutale répression si nécessaire, l’exemple roumain n’est pas loin. ♦