La France et l’Afrique
La dégradation permanente de la situation économique en Afrique a plongé ce continent dans un profond marasme. En vingt ans, la part de l’Afrique subsaharienne dans les échanges mondiaux a ainsi diminué de moitié ; dans le même temps, ses importations de céréales ont triplé et sa dette globale a été multipliée par plus de vingt. L’exode rural, le chômage urbain, l’explosion démographique, les conflits ethniques, les crises financières à répétition, la faillite des institutions bancaires et la fuite des capitaux ont entravé le développement des États. La présence excessive de la bureaucratie, le caractère discrétionnaire des interventions politiques, l’étroitesse des marchés, le coût élevé des facteurs de production et une législation sociale souvent inadaptée ont dissuadé les investissements industriels privés de favoriser toute reprise économique. Les politiques agricoles mises en œuvre se sont pour la plupart révélées totalement inefficaces. Les gouvernements ont généralisé les offices étatiques qui ont considérablement gêné l’établissement des circuits marchands privés. En favorisant les importations de denrées à bas prix, ils ont peut-être répondu à une demande sociale urbaine et perçu des recettes fiscales importantes, mais ils ont surtout découragé les producteurs locaux.
La crise concerne également les systèmes éducatifs qui paraissent aujourd’hui totalement inadaptés aux besoins sociaux, aux perspectives d’emploi et surtout aux exigences des économies nationales. Beaucoup d’écoles africaines produisent en effet des « scolarisés », diplômés ou non, condamnés pour une grande partie au chômage, qui constituent une force sociale insatisfaite et donc un foyer de déstabilisation.
La poursuite de la détérioration des tissus économique et social peut mener à une explosion du continent africain qui pourrait avoir des conséquences graves dans les pays industrialisés. Ce constat pessimiste, mais lucide, a été établi par un groupe de réflexion dirigé par Serge Michailof et composé de personnalités indépendantes qui éprouvent toutes une certaine passion pour l’Afrique. Dans cet ouvrage bien documenté, les analystes essaient d’identifier les raisons profondes du malaise actuel et tentent de démontrer qu’il est toujours possible d’engager de nouvelles politiques mieux adaptées aux réalités africaines. Pour ces spécialistes, l’Afrique ne doit pas être perpétuellement condamnée à l’échec économique. Certains experts prétendent en effet qu’il est temps de reconnaître, comme le fait d’ailleurs la Banque mondiale dans certaines publications officielles, que les graves revers économiques en Afrique sont pour une large part le produit de politiques désastreuses et d’une mauvaise gestion. Cette sévérité du jugement constitue paradoxalement un facteur d’espoir qui devrait entraîner un dialogue plus franc avec nos partenaires africains. Ceux-ci semblent d’ailleurs prêts à ne plus accepter la logique d’abonnement aux « cadeaux », mais à participer pleinement à des politiques contractuelles exigeant le strict respect des termes de tout accord de coopération. Cette prise de conscience et surtout le renouvellement des générations en Afrique pourraient ainsi offrir de nouvelles perspectives.
Beaucoup de lecteurs seront certainement tentés d’assimiler ce livre intéressant à un catalogue de bonnes intentions où abondent les propositions utopiques. L’ouvrage a cependant le mérite, d’une part de nous présenter un diagnostic complet et objectif de la situation actuelle en Afrique, d’autre part d’examiner une large gamme de solutions pour aider ce continent sinistré à entamer un processus de redressement dans les domaines industriel, agricole et éducatif. La France, qui possède des liens historiques importants avec l’Afrique et qui est le premier bailleur de fonds d’une grande partie de ce continent, est particulièrement concernée par cette indispensable entreprise de transformation. Comme l’indiquent les auteurs dans la conclusion, notre politique de coopération doit être totalement repensée et concentrer son effort sur certains points clés : mise en place d’une nouvelle génération de projets répondant aux besoins de base des catégories sociales défavorisées, réduction et redéploiement de notre dispositif d’assistance technique, arrêt de l’aide aux secteurs parapublics dont la gestion n’est pas performante, systématisation des procédures d’audit externe pour contrôler le bon usage des dépenses, aide à l’émergence d’une classe d’entrepreneurs qui reconquière les marchés nationaux et trouve des créneaux sur les marchés extérieurs, abandon des projets à gestion administrative et surtout élaboration d’un concept de responsabilité dans les relations de coopération qui devrait gommer de nombreux principes fondés uniquement sur l’assistanat. La tâche est dure, mais elle doit être acceptée par les Africains s’ils ne veulent pas voir leur continent subir un dramatique cataclysme social, qui provoquerait des flux migratoires incontrôlables vers l’Europe de l’Ouest, et en particulier vers la France. ♦