Vauban
Vauban faisait, jusqu’à présent, partie de ces hommes dont tout le monde connaît le nom et un certain nombre de réalisations (dans son cas ce sont la plupart du temps des fortifications), mais qui sont en réalité inconnus. On peut espérer que la lecture de l’ouvrage que vient de lui consacrer Bernard Pujo changera cette situation.
On ne saurait trop recommander cette lecture, en particulier à des marins, qui plus que d’autres ont des idées toutes faites, et fausses, sur ce grand homme. Le développement récent de l’opposition schématique entre La pierre et le vent, où la pierre est la ceinture fortifiée dont Vauban a doté la France, et le vent l’appel du large qui du coup en aurait eu les ailes rognées, a beaucoup contribué à mettre dans l’esprit des marins l’image fausse d’un Vauban voué au repli sur le « pré carré » et par là même ennemi d’une Marine consommatrice d’argent dans des aventures sans lendemain. On ne saurait trop recommander à ceux qui ont été touchés par une telle présentation des choses la lecture du Vauban de Bernard Pujo. Satisfaisant à la fois l’historien le plus sourcilleux (l’ouvrage abonde de références prises dans la correspondance même du maréchal) et l’amateur de la façon plus moderne de traiter l’histoire, à la limite du récit romancé (sans jamais pour autant s’écarter de la plus grande authenticité), ce livre nous raconte une vie d’homme, vie extraordinairement pleine et homme hors du commun, fidèle à son roi et pénétré du sens de l’État, patriote avant la lettre (il semble que le mot même ait été utilisé pour la première fois à son sujet), homme de cœur sensible à la peine des humbles et soucieux du sang de ses soldats, enfin esprit curieux de tout et n’hésitant pas à conseiller son souverain dans tous les domaines, même lorsqu’on ne lui demandait rien, et ce avec un courage et un franc-parler qui forcent l’admiration.
Vie extraordinaire au cours de laquelle – combien de marins le savent-ils ? – il a littéralement sauvé Brest d’une invasion anglaise, et proposé au roi d’attaquer l’ennemi (anglais et hollandais) là où cela lui ferait mal, c’est-à-dire dans son commerce sur mer. Pour cela, il préconisait la guerre de course, mais, on l’ignore trop souvent, « avec l’appui de fortes escadres couvrant les approches de nos ports ». Encore un exemple d’idée reçue qui est mise à mal, car on prétend souvent que les tenants de la course étaient par le fait même des adversaires de la Marine de haut bord. Enfin, on ne saurait terminer une recension de ce livre sans signaler cette phrase extraordinaire trouvée sous la plume de Vauban, à une époque où Louis XIV a encore une fois mis notre pays en position bien aventurée : « Défensive partout sur terre, offensive en mer ». Voilà qui fait litière des accusations d’étroitesse d’esprit portées contre Vauban.
Ingénieur, soldat, chef militaire, conseiller avisé (sinon écouté…), Vauban fut tout cela à la fois et de façon accomplie. Sa fidélité à son Morvan natal est aussi très bien dépeinte dans un livre qui réussit à faire découvrir l’homme par-delà même sa propre histoire. On ne saurait trop en conseiller la lecture à ceux qui sont en mer comme à ceux qui, à terre, préparent des concours difficiles demandant une bonne culture générale, enfin et surtout à tous ceux qui aiment notre pays et trouveront à puiser dans la connaissance d’un de ses grands serviteurs.
L’auteur, Bernard Pujo, avait déjà rédigé brillamment une biographie du maréchal Juin. Il a su agrémenter ce livre-ci de cartes et de croquis grâce auxquels le lecteur n’est jamais perdu, ni en suivant Vauban dans ses innombrables déplacements, ni en lisant ses critiques de telle courtine, contrescarpe ou échauguette (il ne faut quand même pas oublier les fortifications !). L’auteur ne les oublie pas, mais il nous autorisera à dire qu’il a, lui, édifié un très beau monument à la gloire de Vauban. ♦