La sécurité dans la nouvelle conjoncture
Les bouleversements en cours en Europe de l’Est ont incité les experts de Renouveau-Défense à reprendre leurs réflexions sur la sécurité européenne, qui avait fait l’objet de leurs documents de février 1988 et janvier 1989. Présidé par le général d’armée aérienne (CR) Claude Grigaut, ce groupe comprend 24 membres : diplomates et officiers généraux ayant quitté le service actif, industriels et universitaires. On sait que leurs propositions, longuement mûries, sont le résultat d’un travail d’équipe recueillant l’assentiment de tous : c’est dire la précision des idées exprimées.
« L’ère nouvelle, qui s’ouvre après 45 années de guerre froide, est riche d’espoirs de paix », mais porte en elle des incertitudes et des risques liés à la désagrégation d’un empire, qui, en toute hypothèse, demeurera la plus grande puissance militaire du continent européen. L’Europe occidentale ne dispose pas de riposte appropriée contre la menace des 500 missiles SS-17 et SS-19 à portée variable, cependant que le déploiement des forces soviétiques, supérieures en nombre, n’a pas encore été modifié ; l’équilibre des forces ne sera réalisé que lorsque les 600 000 Soviétiques de l’avant seront à l’est du Bug [ou Boug], et qu’une présence « significative » de troupes américaines en Europe continuera à contrebalancer la dissymétrie géostratégique entre l’Est et l’Ouest. Il serait prématuré d’abaisser notre garde, d’autant que ne sont pas levées les hypothèses de la dénucléarisation totale ou partielle de l’Europe, et de la neutralisation de l’Allemagne réunifiée.
Clairement analysée dans ses variables et ses constantes, la situation nouvelle impose de « conserver à tout prix », d’une part le couplage entre l’Europe et l’Amérique, d’autre part la dissuasion nucléaire, dont les Soviétiques ont implicitement reconnu l’efficacité en la condamnant. Pour être crédible, la dissuasion doit faire confronter l’adversaire potentiel à « un risque insupportable d’escalade dès le début d’une agression ». L’Ouest doit à cet effet maintenir un dispositif classique « suffisant », premier échelon de la dissuasion, et « sauvegarder l’échelon intermédiaire » constitué par les armes nucléaires de théâtre. L’arme qui paraît répondre le mieux à ce besoin, dans le contexte créé par l’accord américano-soviétique FNI (Forces nucléaires à portée intermédiaire), est un système ASLP (Air-sol longue portée, à développer en coopération avec la Grande-Bretagne), de préférence aux missiles S-3 d’Albion. Le groupe se prononce en outre pour l’armement neutronique de l’ASMP (Air-sol moyenne portée) et du Hadès.
Le devenir de l’Alliance atlantique est en question. Il dépend de l’aptitude des Occidentaux à procéder à son renouveau, qui doit se développer dans trois directions : la construction d’un pilier européen de la défense ; l’adoption d’une stratégie plus souple, capable de dissuader un agresseur en le menaçant dans la profondeur de son dispositif, et de faire face, par la concertation interalliée, aux situations d’instabilité dans le monde ; l’aménagement des structures de la défense commune en fonction des données nouvelles.
Parmi les orientations possibles, le groupe préconise la coopération nucléaire franco-britannique, la création d’un Conseil de défense européen, et une plus grande responsabilité des commandements nationaux.
La France, du fait de sa situation géographique, de sa capacité nucléaire, de sa position particulière dans l’Alliance atlantique, peut et doit prendre les initiatives à sa mesure pour que s’amorce le grand réexamen nécessaire. En dissipant les ambiguïtés qui subsistent sur ses positions, elle aura la possibilité de jouer son rôle dans le renouveau de l’Alliance, et plus particulièrement dans la mise sur pied de son pilier européen. ♦