La pagode rouge
Henry Noullet n’en est plus à son coup d’essai. Avec La pagode rouge, il continue à passionner son lecteur et à le faire passer du rire aux larmes en lui contant les tribulations d’un sous-lieutenant (lire : Louk sa moui) frais émoulu de l’école et prenant au Cambodge le commandement d’un poste en bordure d’une plantation de caoutchouc. On reste confondu – soit dit en passant – devant l’étendue des responsabilités confiées à de jeunes cadres militaires à l’époque où les garçons et les filles de leur âge se bornaient à découvrir Saint-Germain-des-Prés et le « Tabou ».
Les descriptions désopilantes se succèdent en un style vif, alerte et riche tout à la fois. La zone est grande comme un département français et coupée par une route coloniale « parcourue par les camions des Chinois, infatigables colporteurs de tout et de rien ». Le peuple est rieur, désinvolte et cruel. De notre côté, des partisans pagailleurs, parfois couards, héroïques à l’occasion, formant un peloton équipé de chenillettes sans chenilles. En face, les rebelles Issaraks, « pirates paperassiers » qui « recensent, comptabilisent, réquisitionnent, délivrent des reçus… », menés par quelques Viets « champions du traquenard ».
Dans ce cadre, notre sous-lieutenant, gaffeur et magnifique, accumule déceptions et déveines jusqu’à l’exploit final, accompli pour les yeux bleus et tristes de sa dame – comme dans les romans de chevalerie – autant que par goût du panache et désir de revanche. Gloire à l’auteur, par qui l’« happy end » n’est pas une banale capitulation à demi promise, mais les retrouvailles viriles avec ce sous-officier adjoint qui est le second personnage du livre et à qui celui-ci est dédié.
Exemplaire, ce maréchal des logis Sam Kull (qui « grimace un sourire » deux fois l’an), même lorsqu’il déboucle son ceinturon pour administrer une correction à sa femme. Noullet force le trait avec l’abominable Le Floch (le planteur), cette brute ingrate de « Banania » (le colonel commandant le secteur), Bertrand ami fidèle des mauvais jours (le toubib). On croirait voir des personnages de la commedia dell’arte. Au demeurant, quel beau montage théâtral pour le Châtelet : tableau 1, la cour du poste (dans le fond, le hamac de Guyot, le carillon et Pédicule de la douche) ; tableau 2, le salon d’Annick avec Kim, le traître en gants blancs, en train de remplir les verres, etc. pour finir bien entendu sur le terre-plein de la pagode rouge !
En conclusion, une histoire prenante, mélangeant l’horreur et le burlesque, bien caractéristique de cette guerre du bout du monde où le héros découvre, sortant de la jungle, un château fort type 1950 aux ordres de deux pandores qui vivent là « en compagnie de deux oursons farceurs, d’autant d’éléphants miniatures et de concubines naturistes, à la tête d’une bande de vieux gamins probablement cannibales. Une telle chose ne pouvait être possible que dans l’armée française ».
Pour le plaisir de lire, une bonne adresse : Noullet. Dévorez-le, vous n’aurez pas d’indigestion, il n’est pas très grand. ♦