L’Énergie : le compte à rebours
Le rapport présenté par Thierry de Montbrial et auquel les recommandations de Robert Lattès et Carroll Wilson fournissent une forte préface reste fidèle à l’esprit des précédentes publications du Club de Rome. C’est un cri d’alarme, un appel à l’action et à la coopération internationale. Ceux qui y chercheraient des recettes ou un programme seront déçus. Tel n’est pas l’objet du livre. Il s’agit de faire prendre conscience à l’opinion que d’une part, une pénurie physique d’énergie risque de survenir dès le début des années 1990 et que d’autre part, en raison des longs délais nécessaires dans cette industrie, il est urgent d’agir.
Crise du pétrole, crise du nucléaire, la situation présente est sérieuse et, au cours des vingt prochaines années, si aucune politique volontariste n’est mise en œuvre, la demande prévisible d’énergie excédera l’offre sous les formes désirées. Le développement du gaz sera limité par les problèmes de transport et de distribution ; celui du charbon est lié à sa conversion dans des conditions économiques acceptables en produits liquides ou gazeux susceptibles de remplacer le pétrole ; l’énergie nucléaire est devenue le bouc émissaire de la société industrielle, et elle souffre des contraintes que lui imposent les risques de prolifération des armes nucléaires. Quant aux énergies nouvelles, il paraît peu probable qu’elles puissent fournir une contribution significative d’ici l’an 2000. Dans ces conditions, c’est sur le pétrole que se reportera la demande. L’offre étant limitée, le prix de celui-ci subira alors une hausse massive : une crise économique grave s’en suivra. On pourra discuter de la date à laquelle les signes avant-coureurs de la pénurie se feront sentir. Mais une chose est certaine, la relative stabilité actuelle du prix du pétrole n’est qu’un répit. L’ère du pétrole à bon marché est révolue.
Si l’analyse de la crise pétrolière et de ses conséquences est à la fois claire et précise, celle du nucléaire apparaît par contraste plus rapide. Elle fait beaucoup d’honneur à la contestation et à la non-prolifération en leur attribuant la responsabilité du marasme que connaît l’énergie nucléaire dans bien des pays. La situation économique générale y est aussi pour quelque chose.
De nombreuses prévisions de demande et d’offre d’énergie ont été effectuées ces dernières années. Certaines reprennent les tendances d’avant la crise de 1973 en les modifiant légèrement et extrapolent jusqu’à un horizon donné, 2000 ou 2025 par exemple. La crise apparaît alors inéluctable. D’autres au contraire partent d’une description de la société dans 20 ou 50 ans et par régression cherchent à définir les chemins qui permettent de l’atteindre. C’est à la première école que se rallie Thierry de Montbrial alors que les tenants inconditionnels des énergies douces, adeptes de la seconde, sont soupçonnés d’utopisme. Il est vrai que leur démarche ne va pas dans le sens des structures et des habitudes actuelles. À titre d’exemple, Superphénix (SPX) coûte environ le prix d’un million de chauffe-eau solaires. Mais, à supposer que les deux investissements soient d’une rentabilité économique équivalente, il est clair que les processus décisionnels qui y conduisent sont radicalement différents. L’un requiert une décision gouvernementale, l’autre un million de décisions individuelles. Le même problème se retrouve pour les économies d’énergie.
Quelle que soit la méthode employée cependant, une action rapide et énergique s’impose. Il faut anticiper, contracter une assurance, préparer une crise éventuelle pour mieux l’éviter. Affirmer que toutes les sources d’énergie seront nécessaires, qu’il faut « faire feu de tout bois » ne permet pas de définir concrètement une politique énergétique (qui en tout état de cause devrait être adaptée aux conditions locales). Mais ce pourrait être le sujet d’un autre livre tout aussi passionnant. ♦