Douze dialogues sur la défense
L’idée de réunir des personnalités appartenant aux disciplines les plus diverses pour débattre d’un tel sujet était séduisante. Publier ensuite leurs réflexions sous forme de dialogues ayant chacun son thème propre était sans doute la meilleure façon de donner vie à ce qui risquait de se perdre dans l’abstraction. Ce qui ne veut pas dire que la lecture de cet ouvrage soit toujours des plus aisées : bien des digressions égarent parfois l’attention et les locuteurs se délectent trop du vocabulaire bien hermétique propre à leur discipline, l’esprit non averti se trouve de ce fait fréquemment arrêté dans sa lecture. Cet obstacle franchi, avouons que ces pages sont un stimulant pour la réflexion et à ce titre la coquille de la noix mérite d’être brisée pour atteindre l’amande.
Douze spécialistes s’entretiennent donc entre eux de la guerre, chacun étant à tour de rôle au centre du débat : le stratège, le biologiste, le thérapeute, l’économiste, l’écologiste et le théologien, entre autres. Si on excepte le diplomate qui met à nu le canevas des conditions d’un conflit, tous s’appliquent avant tout à tracer une problématique de la guerre plutôt qu’à analyser réellement les questions de la défense, il s’agit essentiellement de discourir sur la guerre en soi et principalement de savoir si elle est ou non intelligible. Du reste le premier dialogue offert à notre attention n’est autre que celui, bien formel, du polémologue. Ensuite le stratège démonte le mécanisme de la guerre, l’économiste énumère ses aspects sociaux, le sociologue met en relief sa fonction au sein de la vie du groupe tandis que le théologien dénonce les intransigeances dogmatiques. Bref, chacun disserte sur le phénomène de la guerre avec, au passage, d’utiles remarques sur les modalités d’une défense réelle. Il est vrai que là les spéculations ont le champ moins libre : la défense n’est-elle pas en définitive le lien entre la politique et la guerre ?
L’intérêt de ce livre est de tenir son lecteur au fait des plus récentes hypothèses et des dernières recherches en ce domaine. Son mérite est de nous tenir en haleine en dépit des difficultés inhérentes au sujet. À chacun d’en extraire son miel, et comment ne pas y parvenir tant ces pages sont riches, même s’il arrive que l’observation pertinente y côtoie le paradoxe ? L’épilogue a cependant de quoi surprendre : l’idéalisme de son propos en rend la logique illusoire et peut-être même dangereuse. Croit-on vraiment qu’il serait possible à la France de s’interposer entre les deux Grands pour en faire basculer la stratégie ? La politique française doit être « un pôle de résistance à une bi-hégémonie envahissante » ainsi que le souligne le diplomate du troisième dialogue. Sa politique de défense en découle : il faut qu’elle soit suffisante pour ne pas subir l’intimidation que nous ne cherchons pas à infliger à autrui. ♦