Davout et l’art de la guerre
Le colonel Daniel Reichel est le directeur de la Bibliothèque militaire fédérale suisse, organisme analogue à notre Service historique des armées. Son livre intéressera aussi bien les historiens militaires que les lecteurs soucieux de découvrir des aspects nouveaux de l’histoire de la Révolution et de l’Empire.
Grâce à un travail de recherches s’étendant sur vingt ans et à la publication de nombreux documents inédits, il nous présente non seulement la personnalité si attachante du maréchal Davout, très peu étudiée en profondeur jusqu’à présent, mais aussi, à travers elle, des aperçus féconds sur la société de l’époque. De ce point de vue, l’ouvrage apporte un éclairage beaucoup plus riche qu’une simple histoire événementielle et son intérêt réside dans des développements originaux en particulier sur trois points.
C’est d’abord une étude remarquable de la formation que reçoit Davout à l’École royale militaire d’Auxerre (1780-1785) puis de Paris (1785-1787), celle-là même qui a déjà accueilli son aîné d’un an, Napoléon Bonaparte. Le sujet avait déjà, certes, été abordé dans l’ouvrage du commandant Colin paru au début du siècle ; il est ici complètement renouvelé et approfondi. On est frappé par la nature spartiate de l’éducation militaire d’un jeune gentilhomme dans ce XVIIIe siècle tenu généralement pour frivole. Cette rigueur souligne le souci de la Monarchie déclinante de donner à son armée un encadrement de valeur.
C’est ensuite l’analyse du rôle « subversif » du jeune sous-lieutenant Davout, un an à peine après son arrivée au régiment de cavalerie du Royal-Champagne. Ce régiment est celui où servent traditionnellement depuis plusieurs générations les membres de la famille Davout, de très ancienne noblesse. Et pourtant, dès 1790, le futur maréchal, qui a noué des relations personnelles avec Robespierre, va être l’élément moteur d’une « mutinerie » en faveur des idées nouvelles, ce qui lui vaudra d’être arrêté et détenu à Arras pendant six semaines. Là encore, l’auteur apporte sur cet épisode caractéristique des éléments nouveaux et passionnants.
C’est enfin la formation du jeune chef de guerre de 1793 à 1807, à la fois rapide et expéditive, mais combien riche en expériences, en essais et en erreurs, sous le commandement de chefs très différents, sur des terrains et dans une ambiance favorables à un esprit prédisposé à en recueillir les fruits. Du Nord et de la Meuse en Allemagne, d’Égypte en Italie, on voit le commandant du bataillon de volontaires, puis le brigadier de cavalerie, le divisionnaire enfin, apprendre successivement les vertus de la discipline et de l’entraînement au combat, saisir les difficultés de la manœuvre des armes et la nécessité de la précision du maniement des masses interarmes. Dès 1804, le tout jeune maréchal de trente-quatre ans est prêt à assumer les rôles éminents qui seront les siens à Austerlitz et surtout à Auerstaedt.
La richesse de l’ouvrage, le sérieux de son appareil critique, la précision et la simplicité de présentation des données de « l’art militaire » entraînent le lecteur à partager l’avis de l’auteur sur la valeur de l’histoire militaire comme discipline de synthèse des sciences humaines. Souhaitons, avec M. Corvisier qui a préfacé l’ouvrage, que le colonel Reichel donne une suite à ce livre qui s’arrête pour le moment à 1806. ♦