La trahison de l’Occident
Ce nouvel ouvrage de Jacques Ellul fait apparaître l’auteur sous un aspect inhabituel : celui d’un polémiste. Jusqu’à présent cet historien et sociologue se présentait plutôt comme un impavide clinicien des maladies et troubles de la société. Il cherchait à analyser le phénomène révolutionnaire, en étudiait l’évolution, désignait par le terme de révoltes ses manifestations modernes… Cette fois, il ne se contente plus de diagnostics et de nomenclatures. Il dénonce avec passion les causes profondes du mal dont souffre notre civilisation.
Trahison de l’Occident est donc un ouvrage de combat qui rappelle un peu, par son inspiration, cette Trahison des Clercs dans laquelle Julien Benda poussait, en 1927, les tout premiers cris d’alarme contre un « engagement » des intellectuels dans des mouvements qui les soumettaient à des pouvoirs temporels ou spirituels. Jacques Ellul, quant à lui, nous alerte contre ceux – de plus en plus nombreux – qui ont choisi le dénigrement systématique de toutes les valeurs de civilisation créées par l’Occident. Ces « traîtres » sont parmi nous, mais aussi ailleurs dans le monde : « ses propres enfants couvrent l’Occident de sarcasmes et d’insultes ; plus personne, s’il veut encore se reconnaître Européen, ne peut plus tolérer de porter la charge de l’Occident… et ceux qu’il a conquis et converti à lui-même ont retourné contre lui ses propres armes ».
Jacques Ellul n’est pas pour autant un défenseur inconditionnel de notre civilisation. Il admet sa culpabilité dans de nombreux domaines. Mais, après tout, estime-t-il : « ce que l’Occident a porté dans le monde dépasse infiniment ce qu’il a fait contre des sociétés et des individus ». Il serait temps d’arrêter le déferlement irresponsable des dénigrements de ceux que l’auteur rassemble indistinctement sous le vocable de « Gauche », ce terme ne sous-entendant d’ailleurs en aucune façon une appartenance politique précise, mais désignant plutôt un certain état d’esprit, généreux à l’origine, fourvoyé depuis.
On imagine facilement ce qu’un homme indépendant de la culture et de l’intelligence de Jacques Ellul, a pu accumuler, autour de ces quelques idées, de réflexions, de démonstrations et de développements passionnants. Il a aussi cherché, tout en restant non conformiste, à être clair et convaincant, en renonçant au besoin, à être subtil. Son livre, pensons-nous, aura de ce fait une audience plus large que ses précédents ouvrages qui s’adressaient plutôt à des milieux universitaires. Cette fois, il a toutes les chances de toucher de très larges couches de l’intelligentzia française. Nous croyons, en tout cas, qu’il en a l’ambition. ♦