On peut se demander pourquoi les modèles habituels de prospective des relations internationales sont généralement pentapolaires, ne retenant comme centres de puissance de l’avenir que les États-Unis, l’Union Soviétique, la Chine, le Japon et l’Europe. N’en est-il pas au moins un sixième, l’Australie, ce « continent en devenir » ? Sa position stratégique capitale, à la charnière entre deux océans également importants comme champs d’action de la puissance maritime nucléaire, pétrolière, etc., ne le justifierait-elle pas, de même que ses riches potentialités minières ? Et puis l’Australie n’apparaît-elle pas, dans l’hémisphère austral, comme une émanation originale de cette civilisation industrielle occidentale à laquelle la rattachent ses origines ? Ces interrogations nous ont conduits à demander à un groupe de jeunes auteurs ayant séjourné récemment en Australie de nous faire le point de la situation actuelle de cette jeune nation. Ce premier article porte sur l’évolution récente de l’Australie, ses institutions, ses problèmes politiques, démographiques et économiques. Une prochaine livraison traitera de sa politique étrangère.
Un continent en devenir, l'Australie (I)
À l’écart des grandes routes comme des turbulences internationales, l’Australie a longtemps vécu dans l’oubli ou le stéréotype. Terre de « convicts », colonie sans âme et presque sans histoire, morceau fidèle du Commonwealth, elle n’ajoutait guère à la puissance de la Couronne, qui dépêchait là des sujets douteux ou audacieux pour tirer parti des franges exploitables d’immenses espaces inhospitaliers.
En quelques décennies, les événements ont bousculé cet ordre relativement sommaire. Le peuplement ne s’est point tant accru que diversifié. Les richesses minières ont éveillé les ambitions d’une économie jusque-là confinée aux utilités agricoles. Enfin et surtout, les grandes querelles internationales ont acculé la jeune nation à des choix qui ont lentement sécrété la conscience d’une identité. Il y a loin des services rendus à la mère patrie par les corps expéditionnaires australiens lors des deux guerres mondiales aux engagements délibérément contractés en Corée ou au Vietnam. Le déclin de la puissance tutélaire et le retrait de ses forces à l’Est de Suez ont imposé le recours à d’autres protections, cependant que l’émergence alentour de nationalismes aussi ombrageux qu’inexpérimentés interpellait un dominion blanc passablement indifférent à son environnement géographique. L’adhésion des Britanniques au Marché commun a brusqué le changement de cap, que se chargeaient au reste d’imposer l’emprise économique japonaise et les mutations intervenues en Asie continentale.
En bref, l’Australie a cessé de vivre par procuration. Assurément, elle ne répudie pas les traits de sa naissance. Elle les afficherait même avec une certaine complaisance : le système politique et l’organisation de la société réfléchissent toujours un modèle, retouché peut-être par des accidents ou caprices locaux mais intact en sa substance. En revanche, la certitude d’inaliénables intérêts à défendre, la découverte de responsabilités originales à assumer à la charnière de deux océans, voire même déjà l’orgueil de prodigieuses capacités orientent les regards vers de nouveaux horizons et altèrent le réseau des solidarités.
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