La science économique et l’intérêt général
Avec La science économique et l’intérêt général, John K. Galbraith nous présente le troisième et dernier panneau d’une vaste fresque de l’économie américaine. L’ère de l’opulence mettait en lumière le contraste entre la surabondance de la production privée et le dénuement des services publics. Le Nouvel État industriel décrivait de façon saisissante l’univers des grandes sociétés anonymes. Dans ce nouvel ouvrage – que bien des lecteurs américains tiennent pour le plus important des trois –, l’auteur reconstitue l’édifice de l’économie des États-Unis : le système de marché, milieu naturel des petites entreprises, où les dogmes néoclassiques du consommateur-roi et de la maximisation du profit conservent tout leur sens : le système planificateur, où les puissantes technostructures des firmes géantes, plus avides de croissance que de profit, manœuvrent le client, le public et l’État.
Cette image entièrement nouvelle d’une société économique ne comporte aucune zone d’ombre ; elle est imposante et convaincante. Selon son habitude, Galbraith part en guerre contre les idées reçues, renverse les idoles de la « sagesse conventionnelle » et dénonce la complicité plus ou moins consciente de l’enseignement officiel qui persiste à situer le pouvoir économique dans des mains auxquelles il a échappé et qui détourne ainsi notre attention de ses véritables détenteurs. Certes, le réquisitoire ne fera pas plaisir à tout le monde, mais la preuve est déjà faite que Galbraith a pour lui le temps et le bon sens. On sait aussi avec quel talent il démythifie des théories désormais sans rapport avec les réalités économiques de notre époque.
La première partie de l’ouvrage met en relief le trait fondamental de la société économique américaine : la juxtaposition du système planificateur et du système de marché. Vient ensuite l’analyse des problèmes qui tiennent à cette dualité : inégalité de développement des secteurs économiques, inégalité des revenus, mauvaise répartition des ressources publiques, atteintes à l’environnement, inutilité pratique de certaines innovations technologiques, défaut de coordination (la crise de l’énergie en dit long sur ce point). L’inflation enfin. L’auteur propose une large théorie réformatrice qui s’attaque hardiment aux faits de la vie moderne, aux croyances, à la politique. Quand on aura lu ce livre, on verra clairement comment fonctionne le système économique le plus évolué de notre temps ; on saura aussi ce que propose, pour en parer les effets les plus désastreux, l’un des esprits les plus subtils de la gauche américaine.
Plus encore peut-être que les précédents, La Science économique et l’intérêt général est une œuvre typiquement « galbraithienne » : l’humour, l’ironie, le trait parfois mordant, rompent avec la gravité habituelle des ouvrages d’économie. Le profane n’en accédera que mieux à une pensée dont la profondeur et l’originalité sont indiscutables. ♦