Une société d’étrangers
Voici un livre fort sérieux, mais en même temps très distrayant. Le fait d’avoir été préfacé par Alfred Sauvy n’est-il pas d’ailleurs un sûr garant à la fois de son originalité et de son non-conformisme ?
Il s’agit d’un problème social qui nous touche tous de très près et qui a beaucoup été discuté en France ces dernières années : la mobilité des hommes dans une société industrielle, les effets du déracinement et des possibilités de l’intégration de l’individu dans des milieux nouveaux. Bien que l’étude de Vance Packard porte sur les États-Unis, les conclusions qu’il en tire ou que le lecteur en tirera lui-même, peuvent facilement être transposées pour notre pays.
On a une certaine tendance en France à déplorer ou même à s’indigner du manque de mobilité de la main-d’œuvre, surtout industrielle. Des réactions comme celle des ouvriers de Lip, qui ne veulent pas travailler ailleurs qu’à Besançon, sont couramment considérées comme faisant obstacle à la croissance, à la planification et à un aménagement rationnel du territoire. Et de citer l’exemple de l’Amérique, de ses maisons mobiles, de ses villes nouvelles, de la souplesse que la mobilité des Américains confère à leur développement industriel.
Eh bien ! Les choses ne sont pas si simples, en fait ! Se basant sur une enquête minutieuse, à la fois statistique et d’opinion, menée à travers tout le pays et toutes ses stratifications sociales, Vance Packard dresse un bilan objectif des avantages et des inconvénients de ces grandes migrations modernes. Ceux qui auront lu son livre réfléchiront désormais à deux fois avant de prôner les vertus de la « création d’emploi » dans une région appréciée comme « déshéritée ». Ils attacheront plus d’importance aux effets perturbateurs des transplantations autoritaires, sur l’individu, la famille, la communauté et la société dans son ensemble. ♦