Commentaires. Vol. 3 : De Berne à Paris (1952-1962)
Les historiens de l’avenir qui choisiront pour sujet d’étude les relations diplomatiques de la France dans les années de l’immédiat après-guerre, ne manqueront pas d’utiliser le Commentaire de Jean Chauvel pour éclairer et vivifier les documents officiels originaux qui auront, d’ici là, terminé leur temps de réclusion réglementaire dans les Archives. Tel est bien le but poursuivi par l’auteur. Il a voulu rendre présente et sensible l’ambiance dans laquelle se sont déroulées les négociations auxquelles il a pris part et les événements dont il a été le témoin : il a cherché à évoquer les principaux traits, au moral comme au physique, des personnages qu’il a côtoyés à ces occasions. Le tout, sans citer de textes, sans faire état de notes au jour le jour, qu’il avoue d’ailleurs n’avoir prises qu’exceptionnellement, et n’avoir presque jamais conservées.
Dans ce genre, très libre, Jean Chauvel est à l’aise et met à l’aise ses lecteurs qui ne se sentent nullement tenus à partager ses opinions, ni à approuver ses jugements. Le style, qu’on pourrait avec un peu de malice rapprocher de celui de Monsieur de Norpois, contribue à cette impression d’aisance et de liberté, de même que l’absence d’un plan, ne fut-il que chronologique, de sous-titres, et de transitions autres que géographiques.
Trois épisodes retiennent surtout l’attention de l’auteur : la conférence de Genève sur le Vietnam qu’il n’était pas chargé de mener, à proprement parler, au nom de la France, mais à laquelle il fut étroitement associé par le fait de sa présence permanente en Suisse (il était ambassadeur à Berne) et aussi parce qu’il avait quelques idées sur les solutions possibles d’un problème qui ne provoquerait que désarroi et incertitude à Paris ; la crise de Suez et la lamentable tentative franco-anglaise pour essayer de la résoudre par l’emploi de la force ; et enfin, la lente détérioration des relations franco-anglaises qui suivit l’accession au pouvoir du général de Gaulle et ses prises de position sur le Marché commun et sur l’Otan
Jean Chauvel nous avoue que cette dernière période fut sans doute la plus morne et la plus ennuyeuse de sa longue carrière diplomatique. Non pas que les problèmes qui se posaient fussent peu importants en eux-mêmes – au contraire ; mais la diplomatie était devenue alors un « domaine réservé », et nos ambassadeurs, selon Jean Chauvel, étaient priés d’inaugurer les chrysanthèmes ou de suivre des convois funèbres plutôt que de se mêler de politique étrangère, chose sans doute trop sérieuse pour être confiée à des diplomates. Il en avait été tout autrement du temps de Genève ou de Suez ! La valse des ministres, leurs préoccupations avant tout partisanes, l’inexpérience des équipes instigatrices de la guerre de Suez et de l’alliance israélienne, laissaient la bride sur le cou à ceux de nos négociateurs qui avaient des idées, un sens de la continuité et une compréhension aiguë des intérêts français. Jean Chauvel était incontestablement de ceux-là, et son « Commentaire » constitue un précieux recueil d’enseignements sur cette époque faste de la diplomatie. ♦