La chute de Chiang Kaï Shek
Robert Rothschild, actuellement ambassadeur de Belgique en France, était encore un tout jeune diplomate lorsqu’en juillet 1944 le gouvernement belge en exil le nomma premier secrétaire à son ambassade de Chongqing. Après la victoire des Alliés, Rothschild suivit Tchang Kaï-chek à Shanghai et fut, peu après, nommé consul général de son pays dans cette ville. Il devait ainsi rester plus de six ans en Chine, à des postes d’observation particulièrement intéressants et à une époque très riche en événements historiques et en péripéties diplomatiques de tout ordre, puisqu’elle correspond à l’effondrement de l’ancien régime du Kuomintang et à l’inauguration du règne de Mao Tsé-toung.
Bien qu’il ait consulté un très grand nombre de documents de première main : correspondances diplomatiques, rapports officiels, mémoires, etc., et qu’il les ait soigneusement confrontés avec ses propres notes et impressions, l’auteur se défend d’avoir voulu faire œuvre d’historien. Nous lui savons d’autant plus gré de cette modestie que nous sommes aujourd’hui envahis par un nombre invraisemblable de prétentieux reportages du style : « J’ai vu le monde changer de face… Notre correspondant était là ! » présentés par les éditeurs et directeurs de collections comme des recherches historiques fondamentales.
Le livre de Robert Rothschild, s’il manque effectivement du recul indispensable à l’histoire, se présente par contre comme une source historique de premier ordre, parce que les faits rapportés par l’auteur sont des faits recoupés et certains, parce que les personnages qu’il a rencontrés sont ceux-là mêmes qui ont « fait » les événements et parce qu’il était au courant de par les fonctions qu’il occupait de bien des choses qui ne furent jamais écrites, ni même dites.
Cette authenticité du récit n’est pas son seul mérite. En diplomate chevronné, Robert Rothschild sait remarquablement bien manier l’anecdote, rapporter un entretien, faire un portrait et même décrire un paysage tout en restant spirituel et de bon ton. (La duchesse de Guermantes aurait dit qu’il sait « rédiger »). Mais rien de ce qu’il raconte n’est futile ou insignifiant. Les événements de cette époque en Chine ne se prêtaient guère d’ailleurs à un exercice de style. Les circonstances qui ont entouré la chute de Tchang étaient dramatiques. La tension politique était extrême. La réalité dépassait la fiction et il fallait une intelligence précise et concrète pour la saisir dans tous ses aspects et la rendre présente au lecteur d’aujourd’hui.
Robert Rothschild y a remarquablement bien réussi. ♦