Histoire des îles Madagascars
Reconnu par les Arabes du Xe siècle, puis visité par les Portugais et les Hollandais, l’archipel des Mascareignes n’est occupé par la France qu’au début du XVIIIe siècle. D’abord tremplin pour la conquête de l’Inde puis, sous la Révolution et l’Empire, refuge des navires armés pour la course contre les Anglais, les « îles sœurs » se voient attribuer dès notre établissement des vocations différentes. L’île Bourbon, plus riche, sera le grenier, l’île de France, mieux abritée, sera l’arsenal. Mais de cette complémentarité va naître leur désunion. Ainsi rendues vulnérables, elles seront démembrées en 1815. La première restera française, la seconde deviendra l’île Maurice sous la tutelle britannique.
Elles continueront cependant à suivre des voies identiques. La canne à sucre sera le moteur de leur économie, et ce choix trop exclusif, joint aux difficultés nées de l’abolition de l’esclavage, aux calamités naturelles, aux épidémies, va entraîner le déclin de leur fortune, puis leur stagnation. Leur réveil, dû à la pénurie de sucre pendant la Grande Guerre, sera de courte durée. À l’issue de la Seconde guerre mondiale, l’intégration de l’île Bourbon, devenue La Réunion, et l’autonomie de l’île Maurice ne feront pas disparaître la « réalité coloniale ». Les problèmes connexes que posent pour l’une et pour l’autre le surpeuplement et la sous-production, n’ont pas jusqu’à ce jour trouvé de solutions.
C’est donc sur une note quelque peu pessimiste qu’Auguste Toussaint conclut cette remarquable histoire comparée des trois Mascaraignes et des Seychelles, et son travail prend la place qui lui est due dans la collection « Monde d’Outre-Mer » que publie depuis quelques années déjà l’éditeur Berger-Levrault.
L’on ne trouve point ici qu’une énumération glacée de dates et de faits. L’auteur, « islien » lui-même, sait trouver un ton qui, tout en restant lucidement critique. se fait tour à tour tendre ou poignant pour nous décrire la maladie de langueur dont souffre son pays natal. Il évoque avec une couleur singulière les hommes qui ont traversé le destin de ces terres que leur éloignement portait à méconnaître, donc à mal aimer : des gouverneurs comme La Bourdonnais, Suffren, des corsaires comme Surcouf, des « sçavants » comme Poivre.
Aucun événement n’est laissé dans l’ombre, aucun détail, aucune péripétie ne sont oubliés qui puissent éclairer le sort de ces héroïnes malheureuses que sont les « isles » : le premier Montgolfière de l’hémisphère Sud, le premier papier-monnaie, la Terreur débonnaire, l’apparition désastreuse des parasites de la canne à sucre et du vanillier, le choléra, la rage et la politique qui n’est pas l’un des moindres fléaux… et la prétention de cette petite colonie qui n’est rien moins que de coloniser Madagascar… !
Ce livre est certes une étude exhaustive et des plus sérieuses, mais il est aussi une source inépuisable de rêves. Qui n’a rêvé en effet de son île et plus particulièrement de ces « isles »-là ? Des écrivains et des poètes les ont célébrées : le falot Bernardin de Saint-Pierre, Leconte de l’Isle et Baudelaire surtout, sombre amoureux d’une beauté créole.
Mais Auguste Toussaint n’a pas besoin d’une Jeanne Duval pour nous faire « songer à la douceur d’aller vive là-bas » dans ce pays qui peut-être lui ressemble aussi. ♦