Tito
La collection « L’histoire immédiate » – expression à vrai dire quelque peu équivoque – ne nous a guère habitué à des ouvrages où le souci de faire œuvre historique passe avant celui de sacrifier à l’actualité, dans le style « grand reportage ». Le livre de Phyllis Auty, historien de métier, professeur à l’Université de Londres, sera, quant à lui, accueilli avec satisfaction par tous ceux qui, indifférents à l’anecdote, au sensationnel, et à « l’immédiat », désirent se faire une opinion motivée et réfléchie sur la personnalité de Tito de même que sur son credo en matière politique et sur les raisons de l’intime accord qui existe incontestablement entre l’homme d’État et l’immense majorité de la population yougoslave.
La biographie est un genre historique qui a toujours eu la prédilection des Anglais. Le Tito de Phyllis Auty est conforme à leur meilleure tradition, qui veut que le personnage étudié soit constamment situé dans le contexte des événements et que son action soit toujours appréciée par rapport à l’ensemble du champ des forces qui agissent à un moment donné autour de lui. C’est ainsi que la biographie devient un roman d’aventures, et qu’au lieu d’un portrait un peu solennel et abstrait, sur fond neutre, on se trouve en présence d’un personnage bien vivant qu’on voit évoluer parmi les réalités journalières qui l’entourent.
S’agissant de Tito et des formidables bouleversements qui ont caractérisé l’histoire de son pays – et du monde – dans la première moitié de ce siècle, on imagine facilement à quel point son aventure, comprise dans le sens indiqué plus haut, a pu être passionnante. Phyllis Auty n’a pas eu besoin de forcer le ton, ni d’épaissir les couleurs, pour créer, tout au long de son récit, un « suspens » uniquement dû à la succession, dramatique en elle-même, des événements. Qu’il s’agisse, à l’intérieur du pays occupé par les Nazis, de la lutte au jour le jour entre les « partisans » de Tito et les « tchetniks » de Mihaïlovitch ou, à l’extérieur, du combat mené par Tito et les communistes yougoslaves pour faire reconnaître leur représentativité par les Grandes Puissances ou encore d’épisodes plus feutrés comme les premières entrevues de Tito avec Churchill en août 1944 à Naples et avec Staline en octobre de la même année au Kremlin, l’intérêt et la curiosité du lecteur restent constamment en éveil, et jamais il n’a l’impression que l’auteur cherche à défendre une thèse ni à imposer une interprétation.
Ce n’est que lorsque la fin du livre approche, avec le destin scellé de façon prochaine et inéluctable de son héros, que percent chez Phyllis Auty la sympathie et l’admiration qu’elle n’a pas manqué d’éprouver pour le compagnon de route qu’elle a choisi, dans une tentative en tous points couronnée de succès, d’accompagner sur les chemins de l’histoire.
La traduction de Mauricette Begic est excellente. On a du mal à imaginer que le livre n’a pas été écrit en français. ♦