Les États-Unis face à leur puissance
C’est une longue chronique, et non une courte analyse, que mériteraient les longues pages denses écrites par George Ball, qui pendant six ans a été sous-secrétaire d’État des administrations Kennedy et Johnson. En effet, elles nous transportent en pleine actualité avec une aisance de style et une force de pensée dont l’apparente facilité masque de longues et profondes réflexions, portant sur les problèmes du monde de notre époque et, partant, du monde de demain.
Que George Ball, qui fait au général de Gaulle le reproche d’être nationaliste et Français par-dessus tout, soit lui-même profondément Américain, voilà qui ne doit pas étonner ni, moins encore, choquer. Mais c’est un Américain qui découvre l’immensité des problèmes internationaux, avec une lucidité franche et parfois brutale, et sent intensément que son pays est responsable de l’avenir. Cette responsabilité, il ne doit pas la supporter seul : les Européens doivent en prendre leur part, parce qu’ils sont capables de le faire, à condition qu’ils sachent s’unir et dominer leurs vieilles querelles et leurs particularismes désuets. Il est temps, devant les misères du Tiers-Monde, mais aussi devant les éventuelles menaces que sa situation implique pour la paix – même si elles sont à échéance – de procéder à une nouvelle réestimation de ce qui peut et doit être fait par les nations développées. Aussi est-ce dans la zone tempérée de l’hémisphère Nord que les intérêts américains – lisons par cette expression ceux du monde entier – sont impliqués. L’Amérique du Nord, l’Europe unie, le Japon, doivent unir leurs efforts pour promouvoir un monde nouveau. Que chaque grande puissance se convainque qu’elle doit s’imposer « la discipline de la puissance » (le titre anglais du livre est The Discipline of Power) pour en user à bon escient, en collaboration avec les autres, afin d’assurer l’avenir de l’humanité.
Mais les États-Unis, en attendant que ce rêve – qui est possible – devienne une réalité, ne peuvent pas admettre de perdre leur dynamisme, puisque leur puissance est bien réelle et qu’il est nécessaire à la sécurité du monde qu’ils continuent de l’exercer.
Cette analyse très sommaire de ce qui nous semble être l’essentiel de la pensée de l’auteur ne permet pas d’entrer dans le détail de la démonstration. Les chapitres qui se succèdent traitent des États-Unis, de l’Angleterre, de la France (et le lecteur français sera certainement intéressé au plus haut point par le jugement de George Ball sur son pays et sur le général de Gaulle), de l’Allemagne, des relations Est-Ouest et des relations Nord-Sud, de l’Extrême-Orient, du Vietnam. C’est une revue complète de tous les problèmes qui agitent ou préoccupent le monde.
On la lira avec l’intérêt que mérite un témoignage direct, souvent sans nuances, et toujours sans précautions de style et de forme, sans que rien cependant puisse blesser. ♦