Louis XIV et vingt millions de Français
Dans un style entraînant, avec un enjouement et une passion du meilleur aloi, l’auteur raconte l’histoire de la France au temps de Louis XIV, en détruisant les idées toutes faites et en présentant de nouvelles explications dont le bon sens et la plausibilité frappent. Le lecteur se trouve très loin de l’histoire traditionnelle, de ses poncifs, de ses thèses consacrées. Le ton de Pierre Goubert l’incite à croire à la véracité de ce que l’auteur expose.
La force et la grandeur de la France du xviiie siècle reposent sur la paysannerie et sur le Roi. La paysannerie est encore attardée, presque sous-développée, analphabète, mais nombreuse. Elle travaille et, par la multiplicité de ses occupations agricoles et artisanales, fait preuve de qualités fondamentales. Elle subit les aléas de la politique et du climat, durement, mais en tire aussi parfois des avantages, lorsque la paix revient ou lorsque les récoltes sont bonnes. Elle accepte son sort, non sans maugréer, non sans se révolter, mais avec une abnégation et un courage qui font sa force.
Le Roi est un monarque absolu, depuis qu’il a décidé d’être son propre Premier ministre. Il a le sens de ce qui est digne et grand. Il est dévoué à son peuple, qu’il voudrait voir heureux. Sa politique ne suit d’autre dessein que celui de servir sa « gloire » au sens où l’on entendait ce mot au xviie siècle, sens tout différent de celui qu’on lui donne aujourd’hui ; c’est une ambition noble. En dehors de cette idée directrice, de cette ligne de force, Louis XIV est un pragmatique, qui prend son bien où il peut le trouver, et dont la politique, au dedans comme au dehors, dépend des circonstances. Il se laisse emporter néanmoins dans des aventures guerrières ; mais lorsqu’il meurt, il a laissé un royaume agrandi et mieux protégé, plus solidement établi que lorsqu’il était monté sur le trône.
Ce qui caractérise le règne de Louis XIV dans l’imagerie scolaire est bien davantage ce que le Roi a rêvé de faire que ce qu’il a vraiment fait. En somme, l’œuvre de Louis XIV, c’est une méthode de gouvernement, celle que pourront plus tard appliquer la Révolution et l’Empire, lorsque la centralisation et l’autorité toutes puissantes deviendront effectives. Ainsi, au lieu de faire apparaître une rupture, une cassure dans notre histoire, comme le font trop souvent les manuels scolaires et même des œuvres de plus haute ambition, Pierre Goubert insiste sur sa continuité. On serait tenté de dire qu’il dépeint Louis XIV comme un précurseur des conceptions modernes.
Bon livre, d’une lecture fort aisée, qui actualise le passé en détruisant des mythes trop familiers, et qui apporte au lecteur une libération des idées toutes faites.