Bismarck
Les lecteurs sont tellement habitués à l’histoire « journalistique » qui est un genre fort actuel, avec ses gros titres, ses premiers plans vigoureux, ses anecdotes, qu’il leur faudra, pour apprécier cet ouvrage, se plier à un autre rythme. Werner Richter présente en effet sa copieuse étude sur l’un des plus grands hommes du XIXe siècle de telle façon qu’il faut la lire de bout en bout pour en dégager les idées principales, et pour se faire une image complète du héros et des événements auxquels il a été mêlé et qu’il a si souvent dirigés.
L’image n’est à vrai dire pas tellement différente de celle des manuels d’histoire ; elle est plus fouillée, beaucoup plus nuancée, certes ; mais dans ses grands traits, elle montre bien le « chancelier de fer ». La volonté de Bismarck de faire de la Prusse une grande puissance pouvait se dispenser d’un plan préalable des moyens à utiliser pour accomplir ce grand dessein. Les hommes « hors série » ont rarement un tel plan : mais ils savent ce qu’ils veulent obtenir, le veulent obstinément, et tout leur est bon pour parvenir à leurs fins. Qu’importe qu’ils aient, comme tous les hommes, leurs faiblesses, leurs maladies, leurs misères ! Ils se dominent eux-mêmes comme ils dominent les événements de leur temps, et les façonnent. Un livre comme celui de Werner Richter montre bien l’influence d’un homme sur son époque : c’est Bismarck qui a fait l’Empire d’Allemagne en l’intégrant à la Prusse ; rien ne prouve qu’un autre homme aurait réussi cet exploit. Mais l’homme, même grand, n’a de l’avenir lointain qu’une maigre prescience ; cet empire devait être un jour la cible des autres grandes puissances, lorsqu’il les aurait menacées et outragées. Cela, Bismarck l’a vaguement pressenti à la fin de sa vie, mais il a été à la fois le créateur de la grandeur et de l’effondrement de l’Allemagne.
L’auteur se montre fort objectif dans la présentation des faits et dans la peinture de son personnage. Ce qu’il a écrit, ce n’est ni une apologie, ni une condamnation de Bismarck et de son œuvre. Aussi son livre est-il vraisemblablement un des meilleurs et des plus complets qui aient été consacrés au chancelier qui marqua notre époque d’une empreinte durable. ♦