Carnets secrets de l’Armistice (1939-1940)
Camille Chautemps, maintes fois ministre et président du Conseil pendant la IIIe République, a fait partie du cabinet Reynaud ainsi que du tout premier cabinet Pétain pendant les heures tragiques de mai et juin 1940. Il a écrit ce livre pour apporter à son tour un témoignage sur l’époque et sur les conditions dans lesquelles l’armistice a été demandé, estimant que ce qui est de l’histoire ne doit pas être déformé ni utilisé à des fins partisanes ou personnelles. Les faits sont généralement connus, à notre époque de large information ; toutefois, leur interprétation est évidemment sujette à de nombreuses variations. Or, dit Camille Chautemps, contrairement à cette règle, les faits concernant l’armistice ne sont peut-être pas connus dans leur matérialité. Il importait donc pour lui de les rétablir d’abord dans leur ordre chronologique, tels qu’il les avait vécus directement ou par personnes interposées.
Il y a donc d’abord dans ce livre un récit des événements, qui devrait permettre aux historiens futurs de suivre de plus près la vérité, dans ses détails les plus humbles. Mais il y a évidemment autre chose de plus important aux yeux de l’auteur : la démonstration que les hommes au pouvoir n’ont pas été poussés par des considérations basses, n’ont eu en vue que le bien du pays, et l’ont assuré dans des circonstances extraordinairement difficiles et pénibles. Il est facile, mais injuste, de les juger a posteriori, en leur imputant des conséquences qui ont été celles de la défaite et de l’occupation, et non celles de l’armistice.
L’action des « militaires », du Maréchal Pétain dont l’auteur fait une description très éloignée de la figure qu’il évoquait pour les Français en 1940, du général Weygand dont les interventions incessantes au Conseil des ministres emportèrent finalement la décision de demander l’armistice et évitèrent de signer une capitulation militaire qui aurait laissé les mains libres au Gouvernement (capitulation sur laquelle tous les ministres étaient d’accord), a été déterminante : en fait, une volonté claire s’affirmait devant d’autres volontés dispersées ou devant l’absence de volonté. C’est ainsi que furent repoussés les projets du « réduit breton », alors que le Gouvernement devait se réunir à Quimper, de départ vers l’Afrique du Nord, alors que certains ministres étaient déjà en route pour le port d’embarquement, de séparation du Gouvernement en deux éléments, l’un en métropole, l’autre en Algérie.
Camille Chautemps est sévère pour Paul Reynaud, son ancien ami, et répond aux critiques que celui-ci a portées contre lui.
Les historiens n’atteindront de totale sérénité, pour juger ces questions, que dans un temps qui semble encore devoir être éloigné. Ils trouveront dans ce livre, outre l’affirmation de la bonne foi de ceux qui dirigeaient alors le pays, la preuve qu’aucun d’eux ne s’élevait au-dessus de l’événement et n’avait l’envergure voulue pour y faire face. La France, presque seule à supporter sur terre le poids de la bataille, n’avait à sa tête personne qui pût la galvaniser comme il eut convenu et orienter sur son sol ses futures destinées.
Le lecteur lira sans doute ce livre avec ses idées toutes faites, son opinion arrêtée sur l’armistice en général et sur chacun de ses détails en particulier, avec ses propres souvenirs s’il est assez âgé pour en avoir de cette époque. Il faut souhaiter que cette lecture, très facile et très attachante, en raison du sujet et de la façon très simple et très directe dont il est traité, lui donnera des choses une vue plus complète et, comme l’a souhaité Camille Chautemps avant de mourir, lui fera abandonner des attitudes trop intransigeantes. ♦