Victoire sur l’Everest
« Ce livre se propose de raconter comment, le 29 mai 1958, deux alpinistes d’une résistance physique et d’une classe exceptionnelles, inspirés l’un et l’autre d’une résolution inébranlable, parvinrent au sommet de l’Everest, puis revinrent sains et saufs parmi leurs compagnons. »
À la vérité, et l’auteur l’affirme ensuite, sans minimiser les mérites singuliers d’Hillary et de Tensing, la prouesse accomplie était à la fois l’aboutissement des expériences accumulées par onze missions, durant trente-deux années et le terme prévu pour la prodigieuse pointe d’avant-garde d’une expédition dont l’organisation et le mécanisme avaient été conçus en vue de porter les meilleurs jusqu’au but. « …L’histoire que je raconte ne sera pas celle de deux hommes seuls… Dans la conquête de l’Everest, comme dans toute autre aventure de montagne, l’escalade bien conduite et victorieuse est essentiellement affaire de travail d’équipe… À quelque altitude qu’elles soient parvenues, chacune de ces tentatives ajoutait sa quote-part à la somme d’expériences déjà accumulée. La construction de cette pyramide était la condition même de la victoire. »
L’organisation, minutieusement étudiée, était conçue sur le modèle des ordres d’opérations militaires. « …Sur l’Everest, les problèmes d’organisation prennent les proportions de ceux que pose une campagne militaire… C’est grâce à cet esprit d’organisation que nous avons pu, non seulement prévoir nos besoins… mais aussi avoir toujours devant nous un programme déterminé pendant chaque phase : la mise en route, l’acclimatation, les travaux préparatoires sur la cascade de glace, le premier et le deuxième stade de la mise en place du dispositif, la reconnaissance, les travaux préparatoires sur la face du Lhoste, et même, dans ses grandes lignes, l’assaut. » Le plan de base, arrêté le 5 novembre 1952, fut, à des détails près, réalisé point par point. Il n’était pourtant, dans l’esprit du chef, qu’une base de préparation et d’accomplissement. « Ce mémoire ne propose pas un programme rigide et définitif, disait-il ; celui-ci ne pourra être établi que bien plus tard, sur le terrain. » Aussi, avec un sens réaliste remarquable, le voit-on adapter son dispositif en fonction des circonstances : augmentation du nombre des porteurs, variantes apportées dans le nombre et l’emplacement des camps successifs. Il avait affirmé, en outre, que sur deux points il ne voulait prendre aucune décision préalable : d’une part pour les conditions d’utilisation des deux systèmes d’inhalateurs dont il disposait (circuit libre, circuit fermé), d’autre part pour la désignation de l’équipe chargée de l’assaut final. « L’assaut final ne pouvait échoir à tous, et, pour certains, c’était une déception. Mais chacun avait compris l’importance de son rôle personnel dans l’effort d’ensemble qui porterait deux des nôtres au sommet… Par-dessus tout, c’est à l’esprit d’équipe dont elle était animée que notre expédition est redevable de son succès… » Et rien ne montre mieux la qualité de cet esprit que cette exclamation d’Hillary, l’un des vainqueurs : « Pour moi, quand je vis s’inonder de joie le visage creux, fatigué, de l’homme vaillant et résolu qui était notre chef, je sentis qu’en cela même j’avais ma récompense. »
« Ne fût-ce que du point de vue de l’effort physique et de l’endurance, l’expérience de l’Everest brillera dans l’histoire des exploits humains comme un exemple offert à tous », dit, dans son avant-propos, son altesse royale le duc d’Édimbourg. C’est dans l’inexprimé et l’abusif prudents de ce souverain jugement qu’il faut découvrir tout ce que peut comporter de grandeur l’effort humain porté à son paroxysme. Et c’est bien l’enseignement supérieur qu’il faut dégager de l’entreprise britannique. Car il y avait en elle tout ce qui fait grands et exemplaires les efforts des hommes. Du triomphe de la collectivité surgit la valeur de l’amitié, « du sentiment de cette camaraderie supérieure » où se soudent les volontés par les joies des aventures partagées. Aventurée était en effet la tâche à accomplir et la satisfaction du besoin d’aventure, une des satisfactions où se complurent les exécutants. Mais dominant tout, inspirant tout, « l’esprit de recherche, la détermination, le refus d’envisager l’abandon de la lutte » étaient les ressorts profonds. C’est la volonté de se surmonter, de se surpasser, qui représente la sublimité humaine de l’effort. C’est en cela que l’aventure heureuse de l’Everest prend son sens le plus général. Elle rejoint les plus hauts sommets moraux et spirituels, les sphères lointaines auxquelles atteignent ceux qui, dans quelque domaine que ce soit, poursuivent la recherche d’une perfection toujours plus lointaine, d’un accomplissement jamais réalisé. C’est, proprement, le fait du héros et du saint. Aussi bien, un souffle de spiritualité animait l’équipe. « À ces divers facteurs, écrit le général Hunt, qui ont favorisé notre succès… j’ajouterai une action plus secrète : celle des pensées et des prières de tous ceux qui attendaient et espéraient notre réussite. Nous avions conscience de cette force invisible et nous sentions qu’elle nous soutenait. » Et il conclut, en pensant à quelques fervents d’idéal : « Tant d’autres occasions d’aventures nous sont offertes, que ce soit sur les monts, dans les airs, sur les mers, dans les entrailles du globe, dans le lit de l’océan ou même vers la Lune… Il n’est, je le crois, ni altitude, ni profondeur auxquelles l’homme, sous la conduite de l’Esprit, ne puisse parvenir. » ♦