L’Univers personnel de Teilhard de Chardin
La mort récente du père Teilhard de Chardin a attiré l’attention sur sa prodigieuse aventure spirituelle. Depuis de nombreuses années, savants, philosophes et théologiens suivaient passionnément – mais fragmentairement et difficilement – ses travaux et l’évolution de sa pensée. Géologue et paléontologiste, sa compétence était universellement admise. Théologien, rigoureusement soumis à la discipline catholique (il appartenait à la Compagnie de Jésus) ses œuvres n’étaient pas admises à la publication. Ainsi sa pensée s’est exprimée, durant cinquante années, dans des revues diverses difficiles à rassembler, et dans une trentaine d’ouvrages dont un seul (le Phénomène humain) vient de paraître. La nécessité de donner un panorama de l’évolution de sa pensée s’imposait. La publication du livre de François-Albert Viallet est donc d’une importance indiscutable. Il faut ajouter que le père de Chardin et l’auteur ont été en relations amicales durant neuf années et que le savant a apporté, de différentes manières, son concours à l’élaboration de cet ouvrage. Ceci permet de présumer que la pensée du théologien est ici fidèlement rapportée.
L’auteur donne d’abord une biographie psychologique du savant et du théologien et trace l’évolution de sa vision cosmique et scientifique. Il étudie aussi son mode d’expression et s’accuse d’avoir dû traduire un foisonnement, parfois incohérent, d’idées exprimées dans un langage difficile à suivre par les non-initiés.
Viennent ensuite quelques problèmes essentiels s’échelonnant de la genèse de la vie à la société actuelle. On y voit comment les notions traditionnelles de Matière et d’Esprit sont dépassées par une nouvelle notion émanant de l’Évolution universelle.
Ce qui ressort tout d’abord de l’œuvre de Teilhard de Chardin, c’est le souci de montrer de quelle façon intime la vie et la vision du monde sont mêlées dans sa pensée aux questions vitales de notre époque.
C’est ensuite la situation de la pensée en face de Dieu qui nous est exposée. Le théologien, après avoir évoqué quelques transformations de notre société, se pose la question de savoir ce que devient la notion de « Dieu » dans ce monde en gestation. Il constate une évolution de cette notion forgée dans un monde « fixiste » et humaniste déjà dépassé. Il souligne aussi quelques tentatives de notre époque destinées, en sacrifiant le monde visible, à sauver l’invisible.
Et c’est là que le père trace ce nouveau chemin, issu de notre génération, qui part de la terre à la quête de Dieu. Ainsi il arrive à un « ultra-humain », à une vision christique universelle qui dépasserait le christianisme de nos jours.
Pour François-Albert Viallet, la quête du père Teilhard de Chardin est la plus prodigieuse aventure spirituelle du siècle. C’est un drame véritable : celui d’un esprit créateur exceptionnel placé par les circonstances au cœur d’un moment historique de transformation universelle. Son œuvre n’est pas seulement une tentative de conciliation de la foi et de la science, mais par-dessus tout, la recherche d’un nouvel absolu. Il apparaît tout de suite que, malgré sa soumission sans fissure à la règle hiérarchique, la pensée de Teilhard de Chardin s’écarte de la théologie orthodoxe de l’Église catholique. Aussi Viallet tente-t-il d’expliquer et de justifier la position du père. Au lieu d’isoler son cas, il le lie aux grands courants de la pensée philosophique contemporaine ; il confronte ces pensées, recherche des correspondances et constate qu’elles constituent un faisceau convergent. Et il conclut ainsi :
« Teilhard de Chardin, nous pouvons l’affirmer avec une certitude absolue, se savait au-delà des disputes et des tentatives de racommodage où s’épuisent tant de chrétiens de nos jours. Il ne se voulait, il faut le répéter, ni réformateur, ni hérétique, ni prophète. Simplement, au cours de sa longue vie prodigieuse, quelques germes de ce qu’il croyait être la vérité avaient éclaté dans son cœur comme des étincelles incandescentes : infimes, certes, mais capables d’embraser notre univers jusqu’aux dernières franges. » ♦