Désobéissance
« L’homme placé en second n’a le choix qu’entre les dangers de l’obéissance, ceux de la révolte, et ceux, plus graves, du compromis. »
Placée en tête, cette citation de Marguerite Yourcenar donne le ton de l’ouvrage. Officier de Marine, Alexandre Tachon nous offre une remarquable réflexion sur les fondements et les limites de l’obéissance, au travers de situations bien réelles auxquelles furent confrontés nombre de nos compatriotes. L’obéissance ou la désobéissance, pour quoi et à quel prix ? Il dresse à cet effet un passionnant parallèle entre l’armistice de juin 1940 et le putsch de 1961.
De multiples témoignages de Compagnons de la Libération permettent, sinon d’identifier un élément précis qui ferait basculer le militaire dans la désobéissance, mais au moins d’établir une sorte de profil qui favorise cette attitude de révolte vertueuse. La jeunesse moins sujette aux contraintes familiales et professionnelles, la culture qui ouvre sur d’autres horizons et permet le recul, la passion avec des idéaux bien ancrés, la détermination pour oser franchir le pas, l’humilité enfin qui s’impose à ceux qui vont tout risquer. « Nous avons fait, au fond de notre cœur et de notre âme, ce que nous pensions devoir faire […] Il n’y avait pas d’aspiration à la gloire, à l’avancement ni à la fortune » (Étienne Schlumberger).
Les circonstances de la guerre d’Algérie sont naturellement assez différentes, bien que certains éléments de motivation se retrouvent dans les personnages cités en exemple. L’armée est à bout : la défaite de 1940, le désastre et l’abandon indochinois, la frustration de Suez ont laissé un goût amer. Les putschistes refusent la défaite militaire comme la trahison de la parole donnée aux populations indigènes. Ils défendent leur idéal et leur honneur, et préfèrent sacrifier leur carrière plutôt que leur conscience, parfois en contradiction formelle avec des décisions démocratiques plus ou moins assumées par les politiques.
Dans la dernière partie de son ouvrage, Alexandre Tachon pose la question de savoir si la désobéissance est encore possible aujourd’hui. Il souligne l’ambiguïté des formulations juridiques du code de la défense qui engage directement la responsabilité pénale du soldat, il met en exergue le poids omniprésent des médias et de l’opinion publique.
Cet ouvrage très intéressant ouvre un vaste champ de réflexion à tous les militaires qui s’engagent au service de l’État, et plus largement à tous ceux qui souhaitent éclairer la notion de « libre arbitre ». ♦