Géopolitique de l’Europe
Géopolitique de l’Europe
Docteur en géopolitique, J.-S. Mongrenier propose avec cette Géopolitique de l’Europe une étude rigoureuse et réaliste, bien loin des approximations et des poncifs européistes qui constituent trop souvent l’unique horizon d’une construction européenne de plus en plus subie. Dans cette analyse claire et concise, le premier mérite de J.-S. Mongrenier est de définir ce qu’est l’Europe, et surtout ce qu’elle n’est pas.
Ce qu’elle est, d’abord : un ensemble historiquement disparate sur le plan politique, et dont la fragmentation a justement permis la naissance des libertés politiques et économiques qui caractérisent aujourd’hui le monde occidental ; un ensemble de presqu’îles découpées par la mer, qui bénéficie d’une « thalassographie favorable », c’est-à-dire d’un bon rapport entre sa masse continentale et son tracé de côtes ; le réceptacle incontestable d’un héritage philosophie issu de l’axe « Athènes-Rome-Jérusalem », et dont les racines judéo-chrétiennes font la cohérence géopolitique ; et surtout, l’Europe est une partie de l’Occident, cet ensemble civilisationnel dont elle ne saurait s’isoler sous peine de se détruire elle-même.
Ce qu’elle n’est pas, ensuite : un continent en soi, car arrimée à la plus grande masse eurasiatique ; un acteur géopolitique global, tant l’Europe – quel que soit d’ailleurs le périmètre politique retenu – ne saurait être, seule, une puissance. C’est sur cette incapacité structurelle de l’Europe à prétendre seule à la cohérence globale que l’auteur apporte un éclairage particulièrement pertinent. Quels sont les déterminants de cette incapacité ? Au premier chef, l’absence de sentiment d’appartenance collective, qui n’a jamais existé (« Qui dit Europe ment », disait déjà Bismarck) et qui ne peut exister : ce vide constitue un frein majeur qui limite les prétentions de l’Europe à être, au mieux, un Commonwealth (le marché européen), et qui de surcroît empêche l’émergence d’une Commonwill. Sur cet aspect, la mise en perspective de l’histoire de l’Union européenne, émaillée par les divergences récurrentes entre Paris, Londres et Berlin, et autres « ambiguïtés constructives », est sans appel. Le second facteur d’impuissance, moins évident et que J.-S. Mongrenier met parfaitement en lumière, est le lien consubstantiel entre l’Europe et le camp occidental, dont l’Europe ne peut s’affranchir sans renoncer à son rayonnement. Sur ce dernier point, l’auteur met en évidence la vanité de deux attitudes.
La première, qui consiste à penser que l’Europe, dont la construction récente s’est faite grâce à « l’hégémonie bienveillante » des États-Unis après la Seconde Guerre mondiale, peut exister par elle-même en dehors de l’Otan et de son lien transatlantique ; sans ce lien avec l’Amérique, que l’Atlantique Nord vient relier à l’Europe tel un trait d’union, « l’Europe européenne » basculerait selon toute probabilité dans les rivalités internes. L’auteur fustige ici ceux qu’il nomme les « docteurs Tant Mieux » qui voient dans les replis anglo-saxons (Administration Trump et Brexit) des « signes » pour forcer l’Europe à s’unir plus et à être plus autonome sur le plan stratégique… Mais, en l’absence de véritables facteurs porteurs, cela ne serait qu’illusion pour J.-S. Mongrenier. La seconde, qui consiste à pointer le regard vers l’est au nom d’une Europe « de Lisbonne à Vladivostok », impliquant notamment une relation particulière et un partenariat avec la Russie… Mais cette attitude n’est tout simplement pas, selon le docteur en géopolitique, conforme aux réalités internationales, comme le prouve à l’envi l’attitude de la Russie dans son étranger proche, qui n’a rien d’un « malentendu ».
En passant en revue les menaces pesant sur l’Europe, l’auteur montre, sans verser dans le déclinisme, que l’Europe est hélas depuis vingt ans en phase de déclassement accélérée, bouleversée qu’elle est par les nouveaux rapports de force portés par la mondialisation. Et à une situation politique interne qualifiée de « critique », s’ajoute une ceinture géopolitique particulièrement instable, surtout dans le pourtour méditerranéen. Alors, que faire ? Tout d’abord, éviter la fuite en avant des européistes, qui travaillent en réalité contre l’Europe dans la mesure où leur attitude contribue à attiser le scepticisme des opinions publiques face au projet européen. Puis, opter résolument pour la seule option ayant du sens en termes géopolitique, à savoir une union d’États associés : « plutôt que de pratiquer une sorte de fédéralisme honteux, les Européens gagneraient en clarté et en efficacité à formaliser une confédération ».
On ne saurait donc que trop remercier J.-S. Mongrenier, auditeur de l’IHEDN, pour son propos clair et réaliste. Puisse-t-il instruire ceux qui cherchent à penser le Vieux Continent dans la compétition mondiale, où celui-ci fait figure de « dernier végétarien parmi les carnivores » pour reprendre le mot d’Hubert Védrine. ♦