L’Amérique latine semble sortir en ordre dispersé de sa torpeur diplomatique à l’occasion de la guerre entre Israël et le Hamas. Les approches sont multilatérales avec la question sensible des relations avec la Russie et la tentation de remettre en cause le modèle occidental. L’idée d’un « Sud global » reste cependant porteuse de nombreuses ambiguïtés entre idéologie et « realpolitik ».
Amérique latine - La tentation du « Sud global »
Latin America—The Temptation of the Global South
With the war between Israel and Hamas, Latin America would appear to be emerging from its diplomatic torpor. Not without a degree of disarray, however: approaches are multilateral against the delicate background of relations with Russia and the temptation to question the Western model. The idea of a Global South nevertheless carries within it a number of ambiguities between ideology on one hand and realpolitik on the other.
Le lundi 13 novembre 2023, le président brésilien Lula da Silva a fait, depuis Brasilia, des déclarations tonitruantes : « Après les actes de terrorisme du Hamas, les conséquences, la solution d’Israël s’est avérée aussi grave que celle du Hamas. Ils tuent des innocents sans aucun critère » (1). Ce discours illustre la volonté de l’Amérique latine de marquer un retour sur la scène internationale par une forme de rupture de l’ordre établi. À la différence du conflit entre l’Ukraine et la Russie depuis le 24 février 2022, qui s’est traduit par une neutralité devenue retentissante au fil des mois, plusieurs pays du continent ont adopté une position tranchée, sinon déclamatoire, sur le front israélo-palestinien, au risque de fissurer dans la relation avec l’Occident. La Bolivie et le Belize, membre du Commonwealth, ont décidé de rompre leurs relations avec l’État hébreu, respectivement les 1er et 15 novembre. La Colombie, le Venezuela, le Nicaragua, le Honduras et le Chili ont déjà émis des critiques à l’égard d’Israël. Tout en dénonçant la violence des attentats du 7 octobre, le statut de « mouvement terroriste » du Hamas n’est pas reconnu. Globalement, le continent se range derrière la notion du droit international onusien, lui permettant d’enclencher une mécanique de dénonciation d’un pays de l’Occident, au Proche et Moyen-Orient, dont les soubresauts depuis 1948 n’ont cessé de se confondre avec les fondamentaux des idéologies de luttes qui ont porté, et parfois emporté, l’Amérique latine.
Plus qu’un sursaut identitaire, les tensions actuelles sur la guerre Israël- Hamas peuvent constituer un tournant. L’arrimage de l’Amérique latine à l’Occident (2) renforcé, notamment dans sa dimension économique, dans les années 1990 à la suite de la disparition du système Est-Ouest donne l’impression d’avoir fait long feu. Cette tendance est à rapprocher, sur le plan conjoncturel, avec les alternances politiques depuis la fin des années 2010. Au lendemain de la crise de la Covid-19, s’est renforcé le sentiment d’un système économique à réformer alors que près de 54 % des emplois dépendent du secteur informel et que le tiers de la population vit dans des conditions précaires ou de pauvreté. Cet environnement favorise une évolution politique à la fois dans une dimension nationale, illustrant la diversité de ce continent comptant 33 pays avec la région des Caraïbes, et dans une nouvelle dynamique d’intégration régionale.
Le retour en force d’une approche multilatérale
La protestation contre « l’ordre international » grandit. Si la guerre russo-ukrainienne ne s’est pas traduite par une démarche commune latino-américaine forte et visible, en faveur de l’un ou de l’autre des belligérants, il n’en est pas de même avec la guerre Israël- Hamas. Est-ce le début d’une vague qui dépasse les seules positions du Venezuela, du Nicaragua ou de Cuba ? Force est de constater que, depuis le 7 octobre 2023, l’Amérique latine poursuit sur la voie d’un positionnement critique envers « l’Occident ». Quelle serait la stratégie ? Investir le champ du « Sud global » au nom d’un multilatéralisme contemporain, qui associerait les liens avec les États-Unis, l’Europe, mais également la Chine qui est devenue ces dernières années l’un des principaux partenaires du continent. Shanghai héberge d’ailleurs le siège de la Nouvelle banque de développement (NBD) des BRICS que dirige, depuis mars 2023, l’ancienne présidente brésilienne (2011-2016) Dilma Rousseff.
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