Ce numéro a une assez forte coloration marine car il sort au moment de l'exposition navale du Bourget, comme le numéro de juin 1981 avait été « armée de terre » lors de l'exposition de Satory et le numéro mai 1981 avait été « armée de l'air et industrie aéronautique et spatiale ». Cet article a pour origine une conférence faite par l'auteur, alors major général de la Marine, au Centre des hautes études de l'armement (CHEAr). Son propos est la recherche d'une méthodologie pour définir les moyens en matériel et en personnel dont la Marine a besoin pour remplir les missions qui lui sont fixées. Il est très probable que, malgré sa spécificité, les deux autres armées y reconnaîtront bien des problèmes qu'elles connaissent elles-mêmes, et qu'il leur sera souvent possible de transposer à leurs propres affaires bien des affirmations de l'auteur.
La stratégie des moyens
J’appelle, par commodité de langage, « stratégie des moyens » la politique d’investissement et de réalisation de la marine de demain, par opposition à la « stratégie des fins », qui est la doctrine d’emploi de la marine d’aujourd’hui. Le chef d’état-major de la marine a deux missions principales : conduire la marine d’aujourd’hui et construire la marine de demain. Dans cette double tâche, il est assisté par l’état-major de la marine dont le chef est le major général. La plus grande part de l’activité de ce dernier est consacrée à la « stratégie des moyens », c’est-à-dire la planification et la programmation de la marine future. Les grands choix en sont présentés au chef d’état-major et au conseil supérieur de la marine, l’instruction de ces choix étant faite par l’état-major.
La conception d’une planification est un exercice difficile, d’abord parce qu’il n’existe pas de marine type. L’on constate, en effet, qu’il n’y a pas, dans le monde, deux marines semblables au sens géométrique du terme. Les quatre principales marines, américaine, soviétique, britannique et française, sont radicalement différentes. Les Américains ont des sous-marins stratégiques, des porte-avions nucléaires d’attaque. Les Soviétiques et les Britanniques n’ont pas de porte-avions d’attaque. Nous avons des sous-marins stratégiques, des porte-avions d’attaque et une flotte de surface, mais pas de sous-marin nucléaire d’attaque (1). La réalisation d’une marine représente une série de choix initiaux, et il n’existe pas ce que l’on appelle souvent « une marine équilibrée ». C’est une notion qui pourrait figurer au « petit dictionnaire des idées reçues ».
Dans l’élaboration d’une planification, la première tâche est donc de définir l’importance relative de chaque composante à l’intérieur de la marine. Ce compromis, volontaire et particulier, dépend directement de la politique de défense fixée, en France, par le pouvoir politique. Ainsi, en 1978, le précédent gouvernement a fixé en conseil de défense le modèle de la marine de l’an 2000 (2) ; il y a ajouté, en 1980, deux porte-avions à propulsion nucléaire dont le choix avait été réservé dans le modèle 2000. Au cours de la même année, le Président de la République a lui-même annoncé qu’il était ajouté 800 millions de francs pour une flotte de service public destinée à assurer la police, la sécurité et l’action de l’État en mer dans la zone économique exclusive de deux cents nautiques. Le problème peut paraître réglé pour vingt ans, sous réserve, bien entendu, que le gouvernement actuel ne décide pas, comme il en a parfaitement le droit, un autre modèle pour la marine, correspondant à une autre politique (3).
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