Les derniers jours d'Hitler
Paru dans l’intéressante collection « Tempus » et traduit de l’allemand, le récit de ces « quatorze jours d’épouvante » est hallucinant dans sa précision et va crescendo jusqu’à l’aboutissement wagnérien, où le final est confié à l’artillerie russe, dans un océan de gravats et une « pluie incessante de poussière et de cendres ».
La thèse soutenue ici est audacieuse, celle d’une conclusion logique et comme acceptée de l’aventure construite sur l’amertume de Versailles. Le défi est conçu dès l’origine pour être total et sans retour. Seule la fuite en avant est envisagée et la prise de risque majeur dans l’attaque de l’Union soviétique a été « dictée par le goût du jeu ». Si la partie doit être perdue, les acteurs se voient alors plutôt dans le rôle de Néron que dans celui d’un Napoléon dyspeptique ou d’un pitoyable pantin pendu par les pieds sur une place milanaise. Au fur et à mesure de l’avance – qui mérite d’être suivie plan de Berlin en main – des forces de Joukov et de Koniev, tandis que « chaque jour amène une nouvelle catastrophe », que s’effondre l’espoir d’une rupture de la coalition adverse après la jonction de Turgau et qu’un Keitel borné lance dans la fournaise des grandes unités imaginaires aux ordres d’un Führer sépulcral, on prépare une fin de grand style. La défaite, ressentie depuis un bon moment comme inéluctable, doit être définitive, irréversible, entraîner avec elle le pays dans le gouffre et on en éprouve en définitive une sorte de « jubilation nihiliste ». Les rats ont quitté le navire, Gœring et Himmler. Quant à Hitler, s’il exprime un seul regret, c’est somme toute d’avoir été trop indulgent. Foin des demi-mesures ou des misérables échappatoires, il n’est pas question de quitter le bunker pour gagner un quelconque réduit bavarois. Un dernier carré de fidèles rejoue le naufrage du Titanic autour du chef, et même après son suicide. Dans une ambiance surréaliste, on boit, on danse « sur la musique de l’unique disque qu’on a trouvé », on évoque le bon vieux temps, on fait ses adieux ; Eva Braun monte l’escalier « pour voir une dernière fois le soleil » tandis que Magda Gœbbels empoisonne tous ses enfants, dont seul l’aînée, âgée de douze ans, tente de se débattre, puis va à la mort « l’insigne du parti épinglé sur son corsage ».
Les espoirs mis en cette apocalypse destinée à créer un mythe durable sinon éternel ont sans doute échoué. Hitler aurait été à coup sûr fort amer de contempler peu d’années plus tard le flot d’opulentes Mercedes sur le Ku-Damm, la royauté du D-mark, bref la remontée rapide d’une grande puissance économique alliée docile de cette ploutocratie qu’il abominait. Mais la légende peut ressurgir, les zones d’ombre peuvent être exploitées. Qui garantit que quelque dramaturge, dans deux ou trois décennies, ne trouvera pas matière à dénicher dans cet épisode un substitut aux Atrides et aux Nibelungen et à donner ainsi à retardement satisfaction aux mânes du Führer ? ♦