Blenheim 1704
Malgré le courage de nos gens et l’efficacité de notre artillerie, la bataille de Blenheim (celle de 1704, dite aussi « seconde bataille d’Höchstädt ») ne figure pas parmi les pages de gloire de notre armée, pourtant ici légèrement supérieure en nombre au départ. Il s’agit d’ailleurs plutôt d’un affrontement entre formations multinationales – dirait-on aujourd’hui – du genre de celui de Leipzig. Chaque camp a en effet recherché des appuis au début de la guerre de succession d’Espagne, où l’on se perd dans les complexités dynastiques et les intrigues de cour et où on se bat à peu près partout en Europe (sauf en Espagne !). Les recruteurs de Louis XIV ont enrôlé Bavarois et Irlandais, tandis que la « Grande Alliance » anglo-habsbourgeoise est soutenue, entre autres, par les Hollandais, les Danois et les Prussiens.
La rencontre fut donc catastrophique pour les forces d’un Roi Soleil déclinant. La faute en incombe sans l’ombre d’un doute, côté français, à l’incompétence des deux commandants en chef, pourtant maréchaux, et dont l’un est bigleux au point de ne pas « distinguer les objets à vingt pas de lui » (Voltaire) et de se faire capturer en « prenant un escadron ennemi pour un français » ! Le centre est dégarni, une masse de troupes valeureuses est inutilement entassée dans un village sans pouvoir manœuvrer et sur les arrières s’étendent des marécages et le cours sinueux du Danube, si bien que le repli, bientôt déroute, se termine en noyade collective.
Deux responsables (auxquels il faudrait d’ailleurs ajouter en troisième larron l’Électeur de Bavière), cela fait un de trop, pensera-t-on. Et pourtant c’est bien un binôme qui fait merveille en face. Ce livre retrace les mérites des deux compères, le prince Eugène et Marlborough, et fait surtout ressortir l’étrange solidarité établie entre ces tacticiens de génie, ainsi que la franchise de leur entente, exempte de toute rivalité pourtant fréquente entre hommes de cette trempe. Très différents « d’apparence et de manière » (Churchill), tous deux versés en politique et en finance, fort influents dans leurs pays respectifs et, soit dit en passant, loin d’être des saints, ces hommes se complètent parfaitement sur le terrain et dans la vie. À Blenheim, il semble que ce soit Marlborough qui ait joué le rôle principal, appuyé sur la fermeté inébranlable de l’infanterie britannique et sur un sens de l’organisation sans défaut. C’est lui qui connaîtra la fin la plus morose, lâché par la reine Anne pour des raisons scabreuses.
L’histoire militaire fournit une source inépuisable de récits passionnants, et fort distrayants surtout lorsqu’on les déguste dans son fauteuil ; 6 000 tués, 4 000 noyés, une foule de prisonniers, bilan d’une de ces innombrables batailles égrenées naguère dans les classes de nos lycées en essayant de suivre la succession… des guerres de succession. ♦