Érigée en punition des péchés de 1789 par le régime de Vichy, signe irréfutable de la disqualification de la France pour beaucoup, la défaite de mai-juin 1940 continue d’alimenter la dénonciation d’une nation jugée coupable. Mais, l’effondrement français fut avant tout un succès allemand qu’aucune logique n’annonçait a priori, et c’est mentir avec la mémoire que de se complaire dans la représentation convenue d’un événement qui n’a d’autre signification que d’être un pari gagné par la Blitzkrieg.
1940 : faillite française ou défaite improbable ?
« Chronique d’une débâcle annoncée » Voilà encore comment l’on raconte, en son soixante-cinquième anniversaire, la défaite de 1940. Il semble donc admis que la France a été vaincue non par l’armée allemande mais par l’esprit d’abandon que nous allons chercher, malgré les réévaluations qui nous viennent des historiens étrangers (1), qui dans les lois du Front populaire, qui dans le cynisme intellectuel ou la faillite du régime parlementaire. « Les Français auraient pu assez facilement trouver à leur déroute militaire des explications par les circonstances. C’est le contraire qui s’est produit : tout le monde ou presque a choisi de rapporter la défaite à des causes fondamentales, d’y voir une justice immanente, une évaluation objective, irrécusable et exhaustive de l’état du pays (2) ». En entrant dès 1940 dans le petit jeu des interprétations ontologiques, qui varient selon la chapelle à laquelle on est rattachée, les Français, conditionnés par l’imagerie d’Épinal vichyssoise d’une filmographie surabondante, s’interdisent de voir l’événement lui-même, et réduisent les débats qui l’ont précédé à des choix simplistes.
La querelle des chars
On sait que l’idée de l’armée blindée, traitée par divers auteurs au cours des années 20 et 30, a buté sur l’opuscule du colonel Charles de Gaulle, Vers l’armée de métier, publié en 1934. Or, il ne faut pas perdre de vue que l’apparition du char représentait une véritable révolution : « Instrument de combat par excellence, et exclusivement tel, comment sa technique, ses capacités pouvaient-elles s’évaluer autrement que par un effort de prospective » (3) ? Peut-on réduire la guerre au char ? Dans un contexte où ce qu’on appelait l’anticipation marquait tous les esprits, chez des civils et des militaires élevés à Jules Verne puis H.G. Wells, c’est bien ainsi que le débat est posé. « On a beau vivre au siècle de la vitesse, un empire ne peut se conquérir avec des panzerdivisionen », écrit encore La Croix le 29 mai 1940, alors que le piège de Dunkerque s’est refermé.
Car dans un char c’est bien le moteur qui est l’élément novateur, une arme davantage que le canon, et c’est lui qui fonde la nouvelle tactique. D’où l’arbitrage fait par les Allemands en faveur de la vitesse, car c’est à partir d’une méthode d’emploi validée en secret sur le polygone soviétique de Kazan qu’ils firent un choix technique, et non l’inverse comme les Français le faisaient déjà, à l’image des armées d’aujourd’hui. Qu’importe alors si les panzers sont d’assez médiocres chars de combat, peu blindés et faiblement armés, l’essentiel est qu’ils aillent vite.
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