Quel avenir pour l'Otan ?
Quel avenir pour l'Otan ?
Le nouvel opus de la riche collection « Défense » des éditions L’Harmattan, portant sur l’Alliance atlantique, sous la direction de Pierre Pascallon, professeur des Universités, ancien parlementaire très au fait des questions militaires, et président du Club Participation & Progrès, était particulièrement attendu. Cet ouvrage dont les nombreuses contributions rédigées par les meilleurs experts militaires et civils issus de la communauté euro-atlantique, reprend les interventions prononcées au cours d’un colloque organisé, le 18 septembre 2006, à l’Assemblée nationale.
La date est symbolique, à plus d’un titre.
Nous étions alors à quelques jours d’un important Sommet à Riga, qui devait voir l’Alliance atlantique confirmée dans son rôle de gardien de la sécurité militaire collective du continent européen, sans que ni l’élargissement du domaine de compétence de l’Alliance – vers l’action civilo-militaire – ni l’extension de son assise géographique – en direction de l’Asie orientale et de l’Australie et Nouvelle-Zélande – ardemment voulue notamment par les États-Unis, n’ait vraiment eu lieu.
Cet ouvrage et le colloque qui lui a donné naissance s’inscrivent également dans le contexte particulier du 40e anniversaire de la crise qui a vu la France du général de Gaulle quitter, en juillet 1966, la structure militaire intégrée de l’Alliance atlantique (avant de réintégrer le commandement militaire en 1995). Aussi s’agit-il de prendre date, sans toutefois nier un indéniable rapprochement doctrinal autant que technologique, qui conditionne un lien évolutif et exigeant de plus d’un demi-siècle d’atlantisme paradoxal depuis sa création…
Les pages offrent de nombreux éclairages sur les changements géostratégiques qui ont engagé l’Alliance depuis la chute de l’ex-URSS, au début des années 90, et de son corollaire légitimant, à savoir le Pacte de Varsovie.
La vision prospective n’est également pas en reste, eu égard notamment à ce que sera devenue l’Alliance de ses 26 membres d’ici 2015 (chiffre vraisemblablement rapidement porté à 30 comme le prochain sommet de Lisbonne en 2008 devrait le confirmer, si l’on considère les demandes d’adhésions de la Croatie, de la Macédoine, de l’Albanie, voire plus tard de l’Ukraine et de la Géorgie).
C’est notamment le cas en ce qui concerne les nouvelles missions de paix, justifiée par les nouveaux enjeux de l’insécurité planétaire que sont le terrorisme, la sécurité humaine, les menaces asymétriques, les effets géopolitiques des dérèglements climatiques ainsi que la sécurité des approvisionnements énergétiques.
L’ouvrage et le colloque mettent nettement en exergue que ces nouvelles missions – certes plus difficilement justifiables eu égard au serment de sécurité collective contractée à Washington en avril 1949 – engagent désormais l’Alliance et pour longtemps encore, le cas échéant au-delà du continent européen ; ce fut également un débat dont le Sommet de Riga a montré la limite.
L’ouvrage accrédite aussi la thèse selon laquelle la frontière entre les concepts tactico-opératoires venus d’outre-Atlantique et ceux de l’Alliance est décidément très tenue, certains n’hésitant pas à arguer d’une nette tendance à une « otanisation » de la doctrine militaire française, selon le terme employé par le rédacteur en chef adjoint de la revue Défense & Sécurité Internationale et Technologie & Armement, Joseph Henrotin. De ce point de vue, le futur Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale devrait le démontrer, comme du reste l’a confirmé l’exercice de même type réalisé par la Bundeswehr, il y a quelques mois, et par l’armée britannique dans un proche futur…
Certes, les concepts de mutualisation, d’harmonisation, d’interopérabilité et de complémentarité « compétitive » comme vient le rappeler le chercheur belge André Dumoulin, avec une Politique européenne de sécurité et de défense (PESD) naissante et fortement porteuse d’autonomie, demeurent de puissants vecteurs de légitimité.
Néanmoins, qu’en est-il sur le terrain, aujourd’hui en Afghanistan et dans les Balkans, demain peut-être en Afrique ?
Vaste question dont cet ouvrage ne saurait apporter à lui seul une réponse figée, mais qui vient rappeler que la France a des lourdes responsabilités quant au devenir de l’Otan, tant dans son évolution et sa pérennité, que comme cadre de référence de la communauté euro-atlantique.
En effet, il convient de rappeler que la France reste une des chevilles ouvrières de l’Otan. C’est déjà en soi un fait suffisamment important à rappeler, quand on sait le caractère quelque peu sulfureux que le qualificatif « otanien » revêt dans le débat politico-médiatique en France, plus qu’ailleurs en Europe…
La France est le troisième pays contributeur budgétaire à hauteur de 13 % et se classe parmi les cinq plus gros pourvoyeurs de troupes des missions militaires, soit près de 3 000 soldats sous bannière Otan (à Kaboul ou à Mitrovica au Kosovo, à travers des exercices communs, notamment dans le cadre de l’opération Active Endeavour en mer Noire et en mer Méditerranée ou encore par le truchement de la Force de réaction de l’Otan – NRF – Nato Response Force, forte de 25 000 hommes projetables rapidement partout dans le monde pour faire face aux situations d’urgence).
En même temps, il apparaît comme une évidence que la France est souvent perçue comme la nation « poil à gratter », toujours prompte à remettre en cause la prégnance des évolutions de l’Alliance.
Dès lors, à la question de savoir à quoi servira demain l’Alliance, force est de constater d’importantes divergences existantes. Si l’on en croit le chercheur de l’IFG, Jean-Sylvestre Mongrenier qui évoque la gestation d’une nouvelle alliance bâtie sur la conjonction d’intérêts politiques, militaires, économiques et par-là même sociétaux, l’Otan pourrait être le berceau des « États-Unis d’Occident ».
En parallèle, la lecture de certaines pages confirmera le caractère pérenne de cet outil facilitateur de coopération multinationale, qui fait dire à certains que l’Otan pourrait se transformer en une sorte d’ONU de la sécurité, fortement complémentaire d’une Europe de la défense en phase de coopération et de structuration…
Il n’est toutefois nul besoin d’indiquer que la richesse des débats, fortement contradictoires compte tenu du choix raisonné des intervenants du colloque, donne corps à un texte enlevé dont le fil conducteur est de savoir si la « transformation » qui a quelque peu « capoté » à Riga sera remise sur le chantier des futurs sommets, à moins que le refroidissement avec Moscou, nettement visible ces dernières semaines au travers du différend sur le bouclier antimissiles et la remise en cause par la Russie du traité sur les Forces conventionnelles en Europe (FCE) n’en change la donne, au point de justifier de nouveau l’utilité concrète de l’Alliance atlantique… ♦