L'obsession des frontières
L'obsession des frontières
On parlait bien ces temps-ci d’un retour en force de la géopolitique. Michel Foucher en apporte la preuve avec conviction et élégance. Trop vite furent confondus phénomène de mondialisation et disparition des classiques barrières territoriales. En réalité, notamment avec l’éclatement de l’URSS et consorts, on assiste plutôt à une fragmentation accrue et quelque peu paradoxale : « l’enveloppe russe est de 10 % plus longue que celle de l’ancienne Union soviétique ».
Les rares effacements, consécutifs à quelques réunifications, n’ont pas empêché la création en peu d’années de 26 000 kilomètres supplémentaires de frontières. Qui plus est, en raison de préoccupations sécuritaires, les lignes juridiques sont parfois soulignées par des clôtures d’inspiration berlinoise, « palliatif navrant… qui renforce les divergences et cristallise les identités », où l’électronique remplace l’artillerie de Maginot. Mieux, plus un État est d’existence récente, plus il tend à s’affirmer en marquant matériellement son territoire. Bref, « la barriérisation se banalise », et au moins voici des marchés en « forte expansion » !
L’auteur invite à un complet tour du monde, laissant son lecteur confondu devant la précision des descriptions et parvenant tout à la fois à satisfaire analyse et synthèse. Pas un pouce de terrain n’y est négligé, pas un village frontalier passé sous silence, pas une source potentielle de conflit écartée. La situation globale est récapitulée en annexe par une série de cartes d’apparence modeste, mais fort éclairantes à l’examen. La fixation du tracé des frontières n’est pas une mince affaire. Y contribuent l’héritage (par exemple, celui de la colonisation en Afrique, voire en Extrême-Orient), des considérations juridiques, des impératifs stratégiques, économiques ou écologiques… ou encore les données culturelles, « buttes-témoins du passé ». Ce qui n’empêche pas en outre les ambitions ni les revendications de ceux qui ont une « vision dynamique » du problème. Autant de casse-tête dans le Sahara occidental, le « puzzle instable » du Moyen-Orient, les bordures escarpées du Ferghana, le Cachemire… tandis que l’actualité tourne autour des fameuses « zones tribales » entre Afghanistan et Pakistan et que subsistent aussi des « zones grises » de propriété douteuse au fond de l’immense Amazonie ou de marigots africains. Pour sa part, l’Europe est loin d’avoir réglé ses problèmes. Dans la « fuite en avant » de son élargissement (jusqu’à 41 ?), elle ignore où elle s’arrête, s’il lui faut absorber la Turquie et comment accéder à Kaliningrad. De son côté, selon Vaclav Havel, « la Russie ne sait pas où elle commence et où elle finit ».
Michel Foucher cite volontiers « les élites ». Voici pour elles un vaste chantier en perspective ; à moins que l’affaire ne soit réglée de façon plus radicale à l’imitation des « innombrables castors » baltes qui se sont mis à grignoter les poteaux au creux des forêts. ♦