L'imposture américaine ; splendeur et misère de l'Oncle Sam
L'imposture américaine ; splendeur et misère de l'Oncle Sam
Jean-Philippe Immarigeon vitupère, mais avec le talent qu’on lui connaît, soutenu par une vaste culture et la familiarité de « l’île » américaine. Que vitupère-t-il ?
L’Amérique, le capitalisme, le tout-savoir, voilà pour les concepts ; Bush-Obama, Fukuyama, Descartes, Sarko, voilà pour les hommes et l’on en passe (1). L’Amérique est défaite et Obama, Gorbatchev américain, ne pourra que « sauver ce qui peut encore l’être », c’est-à-dire trois fois rien puisque l’Amérique n’est que du rien rationaliste. Bouffie de sa richesse matérielle, son archéopuissance façon XIXe est mise à mal par des va-nu-pieds. Aussi bien cette pseudo-nation résulte-t-elle d’une duperie initiale : le berceau préparé ne l’était pas pour elle, mais pour le capitalisme lui-même, système parfait, verrouillé, irréformable. C’est ce nouveau monde, capitalo-américain, qui chavire, c’est « la fin des jean-foutre ».
Les jean-foutre ont de qui tenir. Ce qui leur arrive, c’est la faute à Descartes, accusé de « trahison sentimentale » pour ce que sa méthode ne doit rien au sentiment. Sans doute le grief est-il moins adressé au créateur d’un outil spécifique qu’aux ouvriers fanatiques et bornés qui l’ont utilisé à toutes fins utiles. Ouvriers américains qui n’auraient retenu, de l’antonyme pascalien – non cité par l’auteur – que l’esprit de géométrie.
De cet usage totalitaire du cartésianisme résulterait que l’Amérique n’est pas, comme vous le pensiez, le pays de la liberté, mais celui de l’égalité et que la France n’est pas, comme vous le pensiez aussi, le pays de l’égalité, mais celui de la liberté. Dès lors, l’égalité ne pouvant se maintenir sans coercition, résulte encore que le non-système américain est une sorte de maoïsme doux. Tout cela n’est pas dit aussi simplement et l’auteur se délecte d’une dialectique fort classique : les hommes sont-ils égaux de naissance comme le voudrait la Déclaration d’indépendance américaine, ou bien y sont-ils contraints par la loi comme le voulut la France révolutionnaire ?
Le cœur du livre est, selon nous, au chapitre III. Après l’Amérique et le capitalisme, voici la connaissance en procès et Immarigeon en procureur platonicien. De la critique du déterminisme à l’éloge de « l’inconnaissance », on tire à boulets rouges sur la philosophie américaine ; si l’auteur nous permet cette antiphrase. Cette philosophie, en effet, postule que si nous ne maîtrisons pas le monde, c’est faute de tout savoir de lui ; mais ça viendra ! Présomption, sans doute, imprudence plus encore. Les physiciens des particules ont découvert que la nature était vide et « avouent ne pas savoir ce qu’ils sont réellement en train de faire quand ils font de la physique » (p. 102). Si Immarigeon ne l’ose, on peut leur souffler la réponse : qu’ils s’acharnent un peu, c’est Dieu qu’ils vont trouver.
Condamnant l’Amérique, Immarigeon se rassure à bon compte : l’Europe ne va pas mieux, plus engagée même que l’Amérique dans la promotion du « dernier homme » de Nietzsche, relooké par Fukuyama n’en déplaise à l’auteur. Mais c’est en Europe que celui-ci voit le salut : nous autres, nouveaux Grecs européens, sommes engagés sur la voie post-impériale. La puissance brute n’ayant plus cours, il faut accepter, humblement, de transformer notre impuissance en force. Mais est-ce bien ce que Jean-Philippe Immarigeon veut dire ? Lisez-le donc ! ♦
(1) American parano, première vitupération, est paru en 2006, voir Défense nationale et sécurité collective, novembre 2006 ; Sarko l’Américain est paru en 2007 ; les deux livres chez le même éditeur.